Migration Et Changement Climatique En Amérique Latine : Quels Enjeux
dominguezdimitri7 de Diciembre de 2013
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Kaenzig Raoul et Piguet Étienne
Migration et changement climatique en Amérique Latine :
Quels enjeux
Table des matières
I Bref historique du débat : quel rôle pour l’environnement dans les études sur les migrations ?............3
II Les effets actuels du changement climatique en Amérique latine..........................................................4
II. 1 Précipitations.................................................................................................................................4
II. 2 Températures..................................................................................................................................4
II. 3 Catastrophes naturelles..................................................................................................................5
III Des catastrophes naturelles aux migrations ?........................................................................................8
IV Migrations et pénuries d’eau...............................................................................................................10
IV. 1 Les régions andines face au retrait glaciaire...............................................................................12
V L’élévation du niveau des mers facteur de migration à long terme......................................................13
VI Conclusion : un continent très exposé et pourtant peu étudié.............................................................15
1L’impact du changement climatique sur les flux migratoires suscite une attention croissante des
médias et des chercheurs, toutefois les connaissances en la matière sont encore lacunaires (Piguet,
Pécoud and de Guchteneire 2011). Si certains scientifiques et activistes ont proposé des estimations
chiffrées des déplacements futurs liés aux dégradations environnementales, des incertitudes demeurent
quant aux mécanismes en jeu, au nombre de personnes touchées et aux régions les plus concernées.
Certains chercheurs mettent en avant l'impact direct de l'environnement sur les mouvements de
population, mais d’autres insistent sur le rôle plus déterminant du contexte social, économique et
politique. Les recherches empiriques restent éparses et beaucoup relèvent d’une littérature « grise »
dont la validité scientifique n’a pas été systématiquement contrôlée (rapports de commissions,
brochures publiées par les OIG et les ONG, actes de conférences, etc.). Des synthèses régionales de
l’état des connaissances s’avèrent donc nécessaires et, si certaines ont récemment été publiées
surl’Afrique (Jonsson 2010) et l’Asie (Asian Development Bank 2011), aucune n’existe pour l’instant
sur l’Amérique latine.
La synthèse proposée dans cet article repose sur un inventaire des études empiriques existantes
à ce jour. Elle met en perspective la situation du continent latino-américain en regard des autres régions
du monde et en souligne certaines spécificités. La plupart des conséquences du changement climatique
n’étant pas encore observables, nous procédons principalement par analogie historique : une synthèse
des conséquences migratoirespassées des aléas environnementaux permet d’évaluer les conséquences
futures du changement de climat. Cet inventaire permet en outre de mener une réflexion critique sur la
distribution géographique et thématique des études de cas et d’identifier des régions pour lesquelles des
études complémentaires seraient souhaitables au vu de leur vulnérabilité. L’article est structuré comme
suit : après un bref historique du statut de l’environnement dans l’étude des migrations, nous
examinons les principales facettes du changement climatique en Amérique latine. Nous isolons ensuite
trois évolutions dont on peut attendre, sur la base de la littérature existante, les plus fortes incidences en
termes de déplacements de populations (Piguet 2008, Intergovernmental Panel on Climate Change
2007) : les cyclones tropicaux, fortes pluies et inondations ; les sécheresses et l’élévation du niveau des
mers. Nous y ajoutons la fonte des glaciers, question particulièrement sensible en Amérique latine.
L’impact de chaque phénomène sur les migrations est évalué sur la base des expériences historiques ou
2de projections. Les études de cas mobilisées dans cette synthèse sont sélectionnées lorsqu’une attention
prépondérante est accordée à la relation entre la migration et des changements environnementaux liés
au climat. Dans certains cas toutefois, nous faisons mention d’études portant sur des conséquences
migratoires de dégradations environnementales non liées au changement climatique, comme les
tremblements de terre (Belcher et Bates 1983 ; Halliday 2006), ou dont le lien de causalité avec le
réchauffement global n’est pas établi, comme les épisodes d’El Niño (Confalonieri 2003). Nous
considérons en effet – en conformité avec notre démarche générale par analogie – que les
enseignements tirés de ces études peuvent eux aussi éclairer les conséquences migratoires futures du
changement climatique. On prendra soin par ailleurs de distinguer les mouvements de population selon
leur durée probable et selon les distances franchies.
3I
Bref historique du débat : quel rôle pour l’environnement dans les études sur
les migrations ?
Les migrations environnementales sont souvent présentées comme un phénomène « nouveau ».
La chronique des débats montre pourtant sa profondeur historique. Les facteurs environnementaux
figuraient en effet en bonne place dans les premières théories systématiques des migrations : en 1889,
Ravenstein (1889) attribuait à un « climat peu attrayant » le fait « d’avoir produit et de produire encore
des courants migratoires » (parmi d’autres facteurs tels que des lois mauvaises ou oppressives, un
environnement social hostile ou, plus important encore selon lui, les motivations économiques). La
géographe américaine Ellen Churchill Semple écrivait quelques décennies plus tard que « la recherche
de terres meilleures, d’un climat plus doux et de conditions de vie plus faciles est à l’origine de
nombreux mouvements de populations, les motivations de ces dernières les conduisant nécessairement
vers un environnement très différent de leur habitat d'origine » (Semple 1911). Mais, malgré ces
premières intuitions, les références à l'environnement comme facteur explicatif ont progressivement
disparu de la littérature sur les migrations au cours du XXe siècle.
Les « migrants environnementaux » devaient cependant refaire surface à la fin du XXe siècle
avec une acuité nouvelle due aux préoccupations croissantes liées au changement climatique. Plusieurs
publications marquantes ont fourni des prévisions alarmistes sur le nombre de personnes qui seraient
amenées à se déplacer : Norman Myers (1993) pronostiquait ainsi 150 millions de réfugiés
environnementaux d'ici à la fin du XXIe siècle. En 1990, le premier rapport intergouvernemental de
l'ONU sur le changement climatique affirmait que « les effets les plus graves du changement climatique
seront sans doute ceux sur la migration humaine, car des millions de personnes seront déplacées »
(Intergovernmental Panel on Climate Change 1990). Ces premiers travaux ont eu le mérite de
sensibiliser le public et les décideurs politiques à l'impact potentiel du changement climatique sur les
migrations. Cette approche a cependant ses limites, car les « migrants environnementaux » sont vus
comme n’ayant pas d’autre choix que de quitter leur pays et leur déplacement comme motivé
exclusivement par l’environnement. Un positionnement largement en contradiction avec les convictions
4de la plupart des spécialistes des migrations, ce qui motiva une rupture durable entre chercheurs en
sciences de l'environnement et en sciences sociales, car, si les premiers considéraient comme acquis la
corrélation entre dégradation environnementale et migration et soulignaient le grand nombre de
personnes concernées, les seconds envisageaient l’environnement comme un facteur de déplacement
parmi d’autres et se méfiaient de toute estimation chiffrée (Black 2001, Castles 2002).
Aujourd’hui, bien que le débat ne soit pas clos, cette rupture entre les disciplines semble
surmontée : les environnementalistes se montrent plus prudents et les spécialistes des migrations
reconnaissent le rôle de l'environnement dans les dynamiques migratoires. Dans l'ensemble, les
chercheurs rejettent les prédictions apocalyptiques et, s’ils s’accordent à reconnaître que les données
empiriques sont encore loin d’être satisfaisantes, ils ont développé un corpus d’études dont nous allons
maintenant faire une synthèse.
Les sections suivantes proposent un état des connaissances concernant le changement
climatique, puis de ses conséquences migratoires en Amérique latine. La démarche consiste
principalement à croiser les pronostics relatifs aux changements environnementaux
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