ClubEnsayos.com - Ensayos de Calidad, Tareas y Monografias
Buscar

Les grandes étapes d’une recherche scientifique


Enviado por   •  19 de Febrero de 2013  •  Tutoriales  •  17.364 Palabras (70 Páginas)  •  595 Visitas

Página 1 de 70

Notes Séminaire de travail universitaire.

CHAPITRE 1

Les grandes étapes d’une recherche scientifique

La critique historique est réputée être un cours de méthode, de méthode qui fournit en quelque sorte le cadre général de la recherche scientifique. Plutôt que de faire un long exposé abstrait et aride, je vous propose un petit détour empirique, pratique, par un exemple concret de démarche « scientifique » : les étapes de la démarche apparaîtront alors clairement et elles nous fourniront le plan du cours.

A. APPROCHE EMPIRIQUE DU CONCEPT DE RECHERCHE SCIENTIFIQUE

Il s’agit évidemment d’une démarche en «sciences humaines» (les sciences exactes ont leur propre démarche) et d’une démarche « pratique » : on ne s’embarrasse pas pour l’instant d’une réflexion théorique sur l’épistémologie, c’est-à-dire sur la portée et les limites de la connaissance humaine : que pouvons-nous connaître réellement.

Toute recherche se fonde sur une source. Définition : « toute trace laissée par l’Homme et étudiée par un savant pour reconstituer, comprendre, expliquer ou prédire le comportement de l’individu ou du groupe, au sens très large ».

Lorsque le chercheur est en contact direct avec cette source, on dit qu’il mène une recherche de «première main». Par contre, s’il utilise les travaux déjà réalisés par quelqu’un d’autre, on parle de recherche de «seconde main». Exemple : si je m’intéresse aux résultats des dernières élections, ma « source », ce sont tous les résultats par circonscriptions électorales. Si je me propose de les analyser directement, je fais un travail de «première main» ; par contre, si je me propose de les analyser sur bases des travaux qui y ont déjà été consacré (et qui eux ont travaillé directement sur les résultats électoraux), je fais un travail de «seconde main». On reviendra sur cette notion de source au chapitre 3.

Toute étude scientifique répond à un objectif général. Cet objectif peut être très précis et très pragmatique. Il appartient dès lors à la recherche dite «appliquée». Exemples : un sondage préélectoral pour un parti politique ou une analyse de la conjoncture économique pour une banque. Mais cet objectif peut aussi être théorique (le comportement général de l’« homo politicus », par exemple : quels sont les facteurs généraux qui conditionnent le choix électoral ?). Dans ce cas, la recherche est dite «fondamentale» : on ne s’intéresse pas à l’aspect pragmatique, utile, voire rentable ; il s’agit plutôt de l’«art pour l’art» : on s’intéresse à la connaissance pour elle-même, indépendamment de ses implications pratiques.

La notion de période d’observation peut également être un élément de compréhension. Une recherche étudie un phénomène, tantôt en privilégiant le fait que celui-ci évolue avec le temps (diachronie), tantôt en analysant, à un moment donné, la structure, les composantes du phénomène et leur interaction (synchronie).

Exemple : je m’intéresse à l’évolution séculaire de la population mondiale : je fais une étude diachronique ; je m’intéresse, aujourd’hui, en 2009, à l’état de la population belge et à tous les facteurs qui la conditionnent (émigration/immigration, natalité/mortalité, etc.) : je fais alors une étude synchronique.

On dit parfois d’une science qu’elle est « positive ». Le terme « positif » s’oppose ici au terme normatif. L’étude des normes ou du droit mériterait l'épithète de normatif alors qu’une description des comportements sociaux, économiques ou politiques, suivie d’une interprétation et d’une explication de ceux-ci, appartiendrait à une science positive. L’idée fondamentale est qu’une science « positive » apporte une connaissance sur la réalité humaine ; ce n’est pas le cas d’une science normative, qui vise elle à simplement « organiser » la vie sociale, souvent d’ailleurs en se fondant sur les sciences positives.

La science est dite aussi parfois « cumulative ». En fait, une démarche scientifique ne part jamais de nulle part : nos connaissances s’appuient toujours sur les travaux de nos prédécesseurs et nos propres travaux serviront peut-être de point de départ pour de nouvelles recherches. Un chercheur constitue toujours un maillon d’une chaîne de connaissances où chacun apporte une pierre à l’édifice global qui se construit de génération en génération : en ce sens, la science est dite cumulative.

B. UN EXEMPLE SIMPLE DE RECHERCHE

Toute recherche scientifique est par définition originale, propre à un chercheur, à ses préoccupations, etc. Mais sa démarche se décompose en fait en un certain nombre d’étapes correspondant à un schéma général. La bonne compréhension d’un cours de critique historique suppose que l’on connaisse ces étapes. Permettre à l’étudiant de première année d’appréhender celles-ci est donc indispensable. Mais c’est là, on en convient, une des difficultés majeures. On va prendre ici un exemple concret qui illustre cette démarche générale et qui nous permettra de définir le plan de la suite du cours (dans le manuel, il y en a un deuxième exemple, de même que deux lectures qui essaient d’illustrer le parcours du scientifique : vous les verrez par vous-même).

1. Exemple : évolution de la fécondité des couples dans une ville

Imaginons l’interrogation suivante : comment la société où nous vivons «accueille-t-elle» l’enfant ?

Vaste question. On peut penser qu’une des nombreuses sous-questions à traiter sera de savoir si les couples, au sein de cette société, désirent avoir des enfants ou non.

Assez naturellement alors, on pensera que connaître le nombre d’enfants mis au monde par chacune des femmes permet le constat d’une situation existante.

Et l’évolution de ce nombre sur une vingtaine d’années ou plus permettra de voir d’où l’on vient en la matière. Voilà la question grossièrement posée.

Première démarche : se demander si quelqu’un n’a pas déjà répondu à cette question. Il est inutile en effet d’enfoncer des portes ouvertes. Si ce travail existe, après la lecture de celui-ci, on saura si la réponse à la question est donnée. Peut-être n’est-elle pas satisfaisante à cent pour cent. Dans ce cas, il reste à approfondir la partie non couverte par cette étude. Lire. Tout ce qui est paru et qui touche de loin et de près à la problématique. En d’autres termes, faire l’état de la question. Cela permet aussi, à l’aide de ces travaux, de préciser l’objectif poursuivi et de dresser un inventaire des méthodes à suivre pour répondre au mieux à notre préoccupation.

Dans l’exemple présent, puisqu’il s’agit de prendre la mesure du nombre d’enfants, on aura le choix entre plusieurs techniques. Deux de celles-ci suffisent à illustrer le propos.

Soit, dans la communauté que nous étudions, calculer chaque année le rapport entre le nombre de naissances et l’effectif de sa population durant cette unité de temps. Le résultat, donné en «pour mille habitants», s’appelle taux de natalité.

Soit chiffrer ce que le démographe appelle la fécondité : la fréquence (en pour mille) des naissances au sein d’une sous-population en âge de procréer (le groupe des femmes de 15 à 50 ans par exemple).

Si l’on compare ces deux méthodes en termes de difficulté qu’il y a à rassembler les données permettant les calculs évoqués, on se rend vite compte que le taux de natalité est beaucoup plus expédient. En effet, son calcul ne requiert pas de faire la distinction, au sein de l’effectif de population, entre les sexes et encore moins de ventiler par groupe d’âge.

Deuxième étape : durant ces lectures encore, de nouvelles interrogations, auxquelles on n’avait pas songé soi-même en première approche, se font jour : quel peut être l’impact du phénomène sur les besoins du système d’éducation ? sur le régime des pensions ? Par quoi le phénomène lui-même est-il influencé : par l’âge de la femme ? par la nationalité ? par le niveau intellectuel, social, par la religion ? etc. Conclusion : dès lors, avant toute recherche personnelle sur le terrain, il s’agit donc de dresser le questionnaire (la problématique) qui nous guidera tout au long du travail.

On peut dès lors choisir sa méthode.

Étant donné les difficultés évoquées, supposons que l’on opte pour le recours au taux de natalité. On va se convaincre aussitôt de l’imperfection de cette méthode que des contraintes de temps, ou de moyens peut-être, nous imposent. Elle ne sera pas aussi précise que le taux de fécondité puisqu’elle va nous amener à mêler les sexes et les âges. Le taux de natalité va rendre imparfaitement compte du niveau de fécondité chez les femmes de la communauté étudiée.

Troisième étape : la collecte des données.

En résumé, nous avons besoin, année après année, de l’effectif de population et du nombre de naissances. Commence maintenant la recherche de cette information. Existe-t-elle d’abord ? Si oui, où est-elle localisée ? Son siège connu, est-elle accessible ?

OUI : En Belgique, toutes les administrations communales communiquent ces chiffres à l’Institut National de Statistique qui publie annuellement les résultats par arrondissement dans l’Annuaire statistique de Belgique disponible dans toute bibliothèque scientifique qui se respecte.

Nous avons donc le choix – si le cadre de notre enquête est l’arrondissement ou la province – : soit nous rendre auprès de l’administration communale et consulter la déclaration originale ; soit lire l’Annuaire cité. L’avantage présenté par celui-ci est qu’il nous évite de nombreux déplacements (auprès de chaque administration). Les inconvénients sont d’une part, l’agrégation des données par arrondissement qui nous fait perdre de la précision, d’autre part, tous les risques de fautes entre la déclaration de base et le texte publié.

Quatrième étapes : la critique des données.

Avant même de collecter tous les chiffres, nous nous préoccupons donc de la qualité de l’information.

Poursuivons dans ce sens.

1) L’effectif de population d’abord.

Est-ce que chaque officier de l’état civil fait le recensement de ses administrés tous les ans ? Ce qui serait la meilleure méthode pour obtenir un chiffre correct. Que non. En Belgique, les recensements de population ont lieu tous les dix ans. Pour les années intermédiaires, on procède par calcul : l’effectif de population au 31 décembre égale l’effectif au premier janvier de cette année + les naissances ayant eu lieu au cours de cette période – les décès + les immigrés – les émigrés.

2) Le nombre des naissances ensuite.

Que valent les chiffres avancés ? Les enfants nés hors de la commune, en maternité par exemple, sont-ils compris ? Les mort-nés sont-ils comptés également ? Allons-nous nous contenter des chiffres publiés, ou à l’autre extrême, allons-nous compter nous-mêmes les actes de naissances dans les registres de l’état civil ?

Figure n° 1

Le lieu de notre enquête choisi après ces premières réflexions, il nous reste à nous y rendre, muni de fiches de dépouillement où nous n’aurons plus qu’à reporter les chiffres dont nous avons besoin.

Année Naissances Population

1970

1971

...

1998

1999

Rentrés à la maison, nous disposons désormais de données pour calculer le rapport naissances/population en pour mille. Un tableau synthétisant les résultats peut être dressé et un graphique dessiné.

Pour valider ces résultats et être convaincus nous-mêmes de leur pertinence, nous pouvons les confronter avec ceux obtenus par d’autres chercheurs pour d’autres régions par exemple. Outre que cette confrontation avec d’autres travaux peut nous rassurer, elle permet encore de valider la méthode utilisée, d’enrichir nos observations personnelles et d’aider à l’interprétation des résultats.

Groupe d’âge Population ville A Population ville B

0-19 ans 2.840 2.500

20-59 5.350 6.500

> 60 1.810 1.000

Total population 10.000 10.000

Naissances 150 150

Taux natalité 15‰ 15‰

Taux fécondité tous sexes et tous âges 28‰ 23‰

Il s’agit en fait d’une première interprétation. On remarque alors qu’il convient d’être prudents face aux chiffres. Le tableau qui précède, purement imaginaire, veut faire découvrir cette nécessité. On se rend compte que la ville A et la ville B connaissent le même taux de natalité alors que les femmes de l’entité A enregistrent un taux de fécondité supérieur à celui observé en B. Cet exercice démontre qu’en utilisant le taux de natalité, le chercheur doit corriger le manque de précision désormais connu, voire maîtrisé : en l’occurrence, on verrait très bien que soit mise au point une technique permettant d’informer le lecteur sur cette question importante de la structure de population.

Nouvelle étape : description du phénomène

Les résultats étant présentés et leurs faiblesses, inhérentes à la méthode, corrigées sinon domestiquées, on peut procéder à la description du phénomène révélé par les tableaux ou les graphiques. La natalité est en hausse ou en baisse, depuis quand, dans quel espace géographique, avec quelle intensité, de manière uniforme ou non, etc.

Dernière étape : explication du phénomène

L’homme de science ne peut se contenter de décrire. Il doit expliquer le pourquoi des choses. Pourquoi assiste-t-on à cette évolution ? Ici encore on doit s’aider de tout ce que les autres chercheurs ont écrit avant nous. Peut-être, et même sans doute, d’autres questions vont-elles se poser et alimenter le questionnaire établi au départ. Et peut-être va-t-il falloir interroger d’autres sources. Toute recherche scientifique se termine par la présentation officielle des résultats sous forme de livre ou d’article dans une revue : à quoi servirait une étude dont les résultats resteraient sous le boisseau ?

C. CONCLUSIONS : LES ÉTAPES DE LA RECHERCHE ET LE PLAN DU COURS

1. Choix du sujet

En fait, au point de départ de la démarche de l’historien, il y a la question du choix du sujet. Sauf s’il est engagé par une institution qui lui impose un objet d’étude, c’est l’historien qui décide personnellement du sujet à traiter. Ce choix est personnel et peut-être motivé par toute une série de motivations, généralement subjective. Toutes ces raisons sont bonnes et légitimes. La véritable question c’est : quand j’ai un thème de recherche, qu’est-ce que je fais ?

2. Information préalable :

La première chose à faire, c’est de s’informer rapidement sur la matière : est-ce que le sujet n’a pas déjà été étudié ? Qu’est-ce que l’on en connaît ? etc. Pour ce faire, on utilise deux instruments de travail : les encyclopédies et les travaux généraux (grandes collection historiques).

1) les encyclopédies

Les encyclopédies se présentent comme un exposé systématique des connaissances pour un domaine précis présenté dans l’ordre alphabétique. Je prends une encyclopédie générale ou historique (par exemple l’Encyclopedia Universalis, la meilleure en langue française), je cherche à ébénisterie, menuiserie, bois, etc. et je trouve un article sur le domaine qui m’intéresse. Cet article va me donner deux types d’information : ce qu’on appelle un « état de la question » (aperçu de ce qu’on connaît et ce qui reste à chercher) ;

2) et une bibliographie ou liste raisonnée d’ouvrages relatifs à mon sujet. Grâce à cette bibliographie, je peux alors consulter les travaux généraux sur le domaine étudié, me familiariser avec les problèmes posés, les sources utilisées, les principaux travaux disponibles, etc.

Au terme de cette démarche, je vois bien les contours de mon domaine et je dispose d’une bibliographie générale sur le sujet.

3. Problématique : un problème, des questions

Je découvre alors que l’idée générale que j’avais recouvre des domaines très vastes, qu’il y a des aspects qui ont déjà été étudiés et d’autres pas, etc. En fait, pour mon problème d’ébéniste, on a bien étudié l’aspect économique (chiffres de production, débouchés, salaire, etc.), mais pas l’aspect vie quotidienne, vie sociale, etc., précisément ce qui m’intéresse par rapport à mon grand-père.

Ceci indique que pour un même domaine, il y a toujours plusieurs manières de l’aborder, de l’éclairer. Il faut donc, à ce stade, que je définisse ma « problématique », c’est-à-dire le problème concret qui m’intéresse. Si je ne sais pas ce que je cherche de façon précise, je ne saurais pas quels travaux lire, quelles sources utiliser, ni ce qui, dans ces sources, est pertinent pour mon propos. Une fois que j’ai défini précisément mon problème (ici, par exemple, la vie quotidienne des menuisiers-ébénistes), il faut que je définisse clairement en termes de recherches ce que cela implique : si je veux connaître la vie quotidienne des ébénistes quelles questions dois-je me poser ; il s’agit en fait d’exprimer mon objet sous forme d’une liste de questions précises et pertinentes auxquelles je dois pouvoir répondre : combien d’heures travaille-t-on par jour, de quelle heure à quelle heures ; quand fait-on une pose, etc. ; est-on seul ou à plusieurs à travailler, combien, selon quelles organisation (générale, spécialisée, etc.). C’est seulement quand j’ai définis clairement mon objet et dresser un questionnaire complet que je suis prêt à me lancer véritablement dans ma recherche, que je peux me mettre à la recherche des sources et des travaux dont j’ai besoin pour étudier mon problème. Cette démarche s’appelle l’heuristique.

4. Heuristique : sources et travaux

Les historiens sont formés à l’heuristique, ou art de repérer de façon exhaustive toute la documentation relative à un problème historique donné, tout comme les juriste d’ailleurs, sont initiés aux sources du droit : lois, jurisprudence et doctrine.

L’heuristique des sources et des travaux poursuit des objectifs et utilise des ressources différentes.

1) En fait, on commence par les travaux. Les travaux ont deux fonctions :

-première fonction : faire connaître tout ce que l’on sait sur le sujet : en histoire, on part toujours du connu, pour aller vers l’inconnu, ce que l’on cherche ; grâce à ces travaux, je vais m’initier au domaine, découvrir les questions pertinentes, repérer les sources utilisées par d’autres, la manière dont ils les ont utilisées, etc. Ce sont les travaux de recherche ou de synthèse.

-deuxième fonction des travaux : en cours de recherche, en dépouillant les témoignages, les sources, je vais me heurter à des tas de réalités que je ne connais pas : telle institutions qui a joué un rôle, tel personnage inconnu, tel monnaie dont je ne connais pas la valeur. Si je veux comprendre ce que lis, je vais devoir expliciter toutes ces réalités.

2) Après l’heuristique des travaux, l’heuristique des sources. Comment faire pour repérer les sources utiles ? Réponse : grâce au travaux qui m’ont donné une bonne connaissance de l’environnement de mon problème : pour l’ébénisterie, je sais qu’il y avait une législation sociale, des contrôles légaux, des statistiques provinciales, etc. Je peux donc dresser la liste des théoriques des sources utiles et voir si elles sont conservées.

Il y a deux cas de figure : ou bien les sources sont publiées (exemple : les statistiques provinciales) ou bien elles sont inédites (par exemple les procès-verbaux de l’inspection sociale rédigés à la main par l’administration).

1) Si les sources sont publiées (c’est-à-dire imprimées sous forme de livres), elles sont conservées dans des bibliothèques et ont fait l’objet de relevé bibliographiques (pour la Belgique, il existe une liste annuelle, la bibliographie de Belgique, qui reprend tout ce qui a paru dans l’année écoulée) : il suffit de dépouiller cette bibliographie, puis de consulter les imprimés intéressants dans une bibliothèque.

2) Si les sources sont inédites, elles sont normalement conservées dans des dépôts d’archives. S’il s’agit d’archives publiques (les administrations), elles sont conservées dans des dépôts public (archives de l’État, des provinces, des communes, etc.) ; s’il s’agit d’archives privées (évêché, paroisses, entreprises, etc.), elles sont conservées dans des dépôts privés (UCL, etc.).

5. Critique des sources

Une fois que j’ai repéré les travaux et les sources, je me lance dans le dépouillement des sources en leur appliquant le questionnaire que j’ai dressé dans ma problématique. Un préalable cependant s’impose : ces sources sont-elles fiables ? Pour le savoir, je leur applique les règles de la critique historique.

Élément important, les mots « critique historique » revêtent deux réalités : au sens large, il s’agit de décrire l’ensemble de la démarche de l’historien, tel que je viens de le faire ; au sens strict, cela ne concerne que la partie « critique des sources » de la démarche de l’historien. Cela signifie qu’ici, on ne cherche pas à vous apprendre le métier d’historien, mais simplement à vous apprendre à maîtriser les règles à appliquer aux sources, aux témoignages, à l’information, pour juger de leur fiabilité et pouvoir en extraire les informations pertinentes.

6. Reconstitution des faits et synthèse

Extraire les informations pertinentes des sources, c’est l’objet de l’étape 6 « reconstitution des faits ». Une fois que l’on a extrait, grâce au questionnaire (problématique), les faits bruts, comment les articuler, en faire un tout cohérent et compréhensible ? En fait, pour ce faire, on classe les faits par séries chronologiques, géographiques, thématiques, de façons à pouvoir faire des rapprochements, des comparaisons, établir des corrélations, des liens de causalités, etc. Au terme de cette opération, on aboutit à un certain nombre de résultats, de découvertes. Il reste à les présenter de façon cohérente et argumentée : c’est la synthèse. Celle-ci, pour être compréhensible et rationnelle, doit répondre à des règles précises (titre précis ; introduction comprenant objet et limites, intérêt, problématique, sources, plan ; exposé comprenant autant de chapitres qu’il y a de questions dans la problématique ; conclusion synthétisant les résultats acquis, signalant les limites et suggérant de nouvelles pistes).

Conclusion :

Nous allons revoir cela en détails, en insistant sur la démarche critique, qui fait l’originalité de cette partie générale. Le reste, on l’évoquera, mais en sachant que vous allez l’approfondir par la suite.

D. DÉFINITION DE LA CRITIQUE HISTORIQUE

• Ce long préambule permet de proposer enfin une définition de la critique historique: les étapes successives que suppose l’étude scientifique d’un phénomène ou d’un fait requièrent toutes une évaluation (si possible en la mesurant) de la qualité et de la pertinence des données et des méthodes utilisées pour les exploiter et les interpréter. L’ensemble des règles qui visent à cette évaluation peut s’appeler critique historique.

• Est-ce à dire que la critique historique ne s’applique qu’à la démarche scientifique? Lorsque l’on dit de quelqu’un qu’il a l’esprit critique, parle-t-on d’autre chose? En réalité non :

-Le chef d’entreprise auquel se pose un problème de gestion par exemple, interroge ses subordonnés, fait la synthèse des avis reçus et sa conclusion se traduit par une décision.

-Lorsque je prends mon journal ou regarde les informations télévisées, c’est pour, à propos d’un fait d’actualité qui m’intéresse, lire ou entendre les témoignages rapportés par les journalistes ou par ceux qu’ils ont interviewés, me faire une opinion qui débouchera peut-être dans certains cas sur une action.

Dans tous les cas, la démarche est identique sur un plan logique.

Il est donc normal que le cours de critique historique fasse allusion aussi à ces modes de réflexion plus communs.

On le fera d’autant plus que des médias, comme la presse et la télévision, outre qu’ils sont présents dans la vie quotidienne de chacun d’entre nous, représentent également en sciences humaines, soit des objets d’étude (sciences de l’information et de la communication), soit des sources relatant la vie à un moment donné (histoire, sciences politiques ou sociales, etc.).

E. LECTURES COMPLÉMENTAIRES

1. Exercice 1: Analyse de la conjoncture économique

P. DUPRIEZ et C. OST, L’économie en mouvement. Outils d’analyse de la conjoncture, Bruxelles, De Boeck Université, 1986, pp. 29-33.

VOIR MANUEL.

2. Exercice 2: La démarche ethnographique

J.P. LEBEUF, dans Ethnologie générale, Paris, Gallimard, 1968, pp. 180 sq (Encyclopédie de la Pléiade). © Éditions Gallimard.

CHAPITRE 2

CHOIX DU SUJET, DES MÉTHODES ET OBJECTIFS DE LA RECHERCHE

Au départ d’une recherche, le scientifique se fixe des objectifs, évalue les moyens dont il dispose et fait l’inventaire des questions auxquelles il doit répondre pour mener à bien son étude. Ses lectures l’aideront à dresser le questionnaire et à mettre au point ses méthodes de travail. Mais préalablement à tout cela, il aura choisi un sujet de recherche.

A. LE CHOIX D’UN SUJET DE RECHERCHE

Plusieurs facteurs peuvent expliquer le choix que fait le chercheur de se pencher sur tel problème plutôt que sur un autre.

Il peut s’agir d’une affinité géographique: le fait d’être né à un endroit, d’avoir grandi dans une région et de l’avoir aimée explique dans bien des cas que les préoccupations manifestées par un savant ont comme cadre un espace qui lui est sentimentalement proche.

L’avantage de cette situation est sans doute l’enthousiasme qui va sous-tendre la longue, et parfois laborieuse étude.

Le désavantage, par contre, est probablement le fait que, se sentant davantage impliqué, le chercheur sera tenté à certains moments d’oublier cette qualité essentielle pour un scientifique: l’objectivité.

En corollaire à ce premier facteur, on retient l’affinité affective. Avoir vécu, ou même peut-être avoir été victime de tel ou tel phénomène, soi-même, ses parents ou ses proches, explique parfois aussi le désir d’aborder un thème bien précis.

Que le sujet soit d’actualité, cela semble être une qualité du travail: les événements contemporains, ipso facto, vont susciter des recherches. Le terrorisme, la politique africaine, le rôle des médias... La liste est infinie. Nos lectures, du même coup, peuvent nous mettre en éveil. Que ce soit la lecture d’un quotidien, l’audition d’une émission, d’une conférence, etc. À cette occasion, les premières questions se mettent en place. Davantage encore, des hypothèses de travail sont formulées.

L’enseignement reçu de nos maîtres est un des facteurs prédominants pour justifier un sujet de recherche. En effet, à propos d’une science qu’ils pratiquent, qu’elle soit dite exacte ou dite humaine, les enseignants font en général le relevé des théories qui la sous-tendent.

Ce terme de théorie doit être bien compris.

• En sociologie par exemple, on se réfère à la théorie du suicide de Durkheim.

• Mendras définit la théorie comme étant «une synthèse réunissant en un ensemble cohérent des propositions permettant d’expliquer un grand nombre de faits, et admise à titre hypothétique par les savants» .

• Un astrophysicien, Hawking, écrit de son côté :

«... une théorie sera valable si elle satisfait aux deux conditions suivantes: décrire avec exactitude une vaste catégorie d’observations sur la base d’un modèle qui ne contient que quelques éléments arbitraires, et faire des prédictions précises concernant les résultats d’observations futures. Exemple, la théorie d’Aristote selon laquelle tout était fait de quatre éléments, la terre, l’air, le feu et l’eau, était suffisamment simple pour effectuer des descriptions, mais elle ne permettait pas de prédiction précise. La théorie de la gravitation de Newton était fondée, elle, sur un modèle encore plus simple [...] cependant, elle prédisait les mouvements du soleil [...] et des planètes avec un haut degré d’exactitude. Toute théorie physique est toujours provisoire en ce sens qu’elle n’est qu’une hypothèse: vous ne pourrez jamais la prouver» …

La découverte d’une théorie au cours d’une lecture ou d’un enseignement peut paraître séduisante au point qu’un chercheur soit tenté de vérifier son bien fondé dans le cadre de ses préoccupations.

Moins englobant qu’une théorie, le modèle peut néanmoins susciter lui aussi une curiosité intellectuelle.

Il est des modèles sociologiques, géographiques, etc. Voici par exemple la définition qu’en donne un économiste: «un modèle économique est une formalisation logique (en général mathématique) de comportements, mécanismes ou cohérences économiques» .

Au modèle est donc, en général, associée une équation. Aux inconnues qui composent celle-ci, le chercheur attribue les valeurs rencontrées au cours de ses observations propres. Le modèle a lui aussi un rôle prédictif. (Ces notions seront revues lorsqu’on abordera en fin de parcours «l’explication» et les «relations causales». Il convient néanmoins que l’on ait compris dès maintenant ce que signifie recourir à un modèle lors d’une étude).

Au départ d’une recherche, s’inspirer d’une théorie ou d’un modèle pose au philosophe des sciences et au scientifique une question épistémologique fondamentale. En résumé, et donc en simplifiant, faire confiance à un modèle dès le début de la recherche, c’est faire un acte de foi. C’est accepter a priori, pour un phénomène à étudier, de le réduire à une formule dans laquelle il suffit d’attribuer une valeur aux inconnues.

À l’inverse, la démarche dite expérimentale consiste, à propos de ce même phénomène, à rassembler sur le terrain un maximum d’observations et, au terme de cette accumulation, élaguer si nécessaire, décrire ce qui peut être reconstruit de cet objet d’étude et enfin, en expliquer le pourquoi. Même si ces deux attitudes scientifiques extrêmes paraissent caricaturales, elles n’en constituent pas moins des démarches qui existent ou qui ont existé dans certaines disciplines.

Après le modèle ou la théorie comme facteur instigateur d’une recherche, il reste à citer la commande d’une étude auprès d’un scientifique par une institution, voire par un individu: élaboration d’un sondage d’opinion à la demande d’un parti politique, étude épidémiologique au profit du ministère de la santé publique, mission d’audit dans une entreprise, etc.

Le sujet étant défini, l’enquête portera rarement sur la planète tout entière et depuis les temps les plus reculés: l’étude aura ses limites.

B. LES LIMITES DU SUJET

Espace et temps, voilà les deux concepts qu’il faut rencontrer d’emblée.

1. Cadre géographique

Fixer le cadre géographique de l’enquête: cela paraît sans doute une banalité au lecteur non averti. La démarche pourtant est d’une importance cardinale. À ce point que l’on y reviendra avec force dans un autre chapitre.

Le cadre géographique se comprend, d’abord, au sens très physique du terme. Quelles sont les frontières matérielles du territoire dont nous nous occupons: le quartier, la commune, la province, etc. Que l’on en soit bien convaincu, ce type de limite n’est pas toujours facile à déterminer.

Plus difficile, a fortiori, lorsque la frontière est immatérielle, si l’on peut dire. C’est le cas, par exemple, lorsqu’il s’agit de définir une sous-population à l’intérieur d’un ensemble plus large: les agriculteurs, les pensionnés, les étudiants, etc.

Il est même des cas où l’on se résout à qualifier la catégorie étudiée d'«infinie» parce que l’on est dans l’impossibilité d’en fixer les contours. Définir l’assise géographique et, par extension, la population étudiée, est non seulement une garantie du sérieux de l’étude mais aussi la justification de l’emploi, ultérieurement, de telle ou telle méthode statistique.

2. Cadre chronologique

Le cadre chronologique dresse les limites de temps. Il est important de fixer le «terminus a quo» et le «terminus ad quem» de l’observation et partant, du phénomène étudié.

Pour des raisons de rigueur intellectuelle, le lecteur aime savoir exactement de quelle époque sont les événements dont traite l’ouvrage qu’il consulte. Pourquoi prendre telle ou telle date : justification en termes de pertinence par rapport à la recherche ?

L’impérieuse nécessité d’annoncer les limites chronologiques s’explique aussi par le souci critique.

En effet, si l’événement rapporté appartient à un passé lointain, il est difficile, si pas impossible, de contrôler la véracité du témoignage, d’interroger tous les acteurs ou de vérifier les résultats. Par contre, si l’événement se conjugue au présent, la disponibilité des témoins permettant tous les contrôles imaginables est un avantage auquel répond une faiblesse potentielle: la proximité du fait ne permet pas toujours le recul nécessaire favorisant l’objectivité de l’auteur.

Quant à l’étude d’un événement futur, appelée prospective, elle non plus ne permet pas de contrôle, sinon a posteriori.

Si la grande majorité des sciences humaines étudie des phénomènes bien localisés dans le temps, il en est qui, à l’instar des mathématiques, raisonnent de manière intemporelle. Il en est même, comme l’anthropologie lorsqu’elle s’intéresse au mythe, qui prétendent comprendre certains aspects de l'aventure humaine comme appartenant au «temps anhistorique».

Choix et limites du sujet à traiter étant décidés, il faut opter pour une méthode ou des techniques d’investigation permettant de mener cette étude.

C. PREMIER CHOIX D’UNE MÉTHODE ET DE TECHNIQUES

• La révélation au monde scientifique d’une méthode originale dans un domaine de recherche constitue, à notre sens, une des plus grandes qualités d’une étude publiée.

• Mais, la plupart du temps, on emprunte sa méthode à l’un ou l’autre de ces «ténors». Le plus souvent, ces techniques, apprises au cours de lectures ou suite à un enseignement reçu, sont adaptées et parfois améliorées en fonction des sources disponibles. La méthode retenue a un lien direct avec la collecte des données qui suivra.

• On l’a vu dans l’exemple cité au chapitre premier: choisir le taux de natalité comme technique de mesure de la fécondité impose la connaissance de l’effectif de population et du nombre de naissances. Pour chaque année d’observation, voilà les deux chiffres à collecter.

Une question de stratégie oriente les choix: grand nombre de travaux doivent faire face à des contraintes de temps et de moyens financiers. En général, il y a une corrélation positive entre le niveau de rigueur scientifique et le temps nécessaire pour mener à bien la recherche. Au savant de trouver un juste milieu. Il ne faut pas se leurrer non plus sur le caractère définitif du choix des techniques: à ce moment-ci de la démarche, les objectifs sont clairs, certes, mais pas intangibles et immuables.

3e COURS

C. PREMIER CHOIX D’UNE MÉTHODE ET DE TECHNIQUES

• La révélation au monde scientifique d’une méthode originale dans un domaine de recherche constitue, à notre sens, une des plus grandes qualités d’une étude publiée.

• Mais, la plupart du temps, on emprunte sa méthode à l’un ou l’autre de ces «ténors». Le plus souvent, ces techniques, apprises au cours de lectures ou suite à un enseignement reçu, sont adaptées et parfois améliorées en fonction des sources disponibles. La méthode retenue a un lien direct avec la collecte des données qui suivra.

• On l’a vu dans l’exemple cité au chapitre premier : choisir le taux de natalité comme technique de mesure de la fécondité impose la connaissance de l’effectif de population et du nombre de naissances. Pour chaque année d’observation, voilà les deux chiffres à collecter.

Une question de stratégie oriente les choix : grand nombre de travaux doivent faire face à des contraintes de temps et de moyens financiers. En général, il y a une corrélation positive entre le niveau de rigueur scientifique et le temps nécessaire pour mener à bien la recherche. Au savant de trouver un juste milieu. Il ne faut pas se leurrer non plus sur le caractère définitif du choix des techniques : à ce moment-ci de la démarche, les objectifs sont clairs, certes, mais pas intangibles et immuables.

D. OBJECTIFS

Dès le début, il faut s’efforcer de savoir précisément où l’on va. Les objectifs sont à la fois généraux et particuliers.

1. Objectifs généraux

• Généraux, c’est-à-dire qui valent pour toute, quelle qu’elle soit.

Toutes les sciences tendent d’abord à établir des faits. Affirmation banale à première vue, mais combien difficile. En effet, tous ces faits sont complexes et empreints de subjectivité.

Pour mieux imaginer la complexité d’un phénomène, référons-nous au schéma suivant (figure no 3) essayant de structurer l’ensemble «fécondité» en isolant tous les éléments le composant, et dont il est indispensable d’avoir une connaissance pour comprendre le fonctionnement de cet ensemble.

Figure n° 3 : Complexité d’un phénomène démographique

La complexité, comme on le voit bien ici, découle de la difficulté de prendre en compte le très grand nombre d’éléments dont on estime devoir tenir compte lorsqu’on tente de comprendre un phénomène.

Il faut aussi «regarder du côté du sujet pour comprendre la complexité » : quoiqu’il observe, l’être humain n’est pas un encodeur passif, il développe toujours une part de subjectivité.

• Dans l’acte de connaissance, le chercheur met en œuvre des stratégies, des raisonnements, qui ne sont jamais une espèce « d’enregistrement » neutre de la réalité :

Exemple : raisonnement par analogie (hypothèse de ressemblance entre phénomènes) : génétiquement, les rats sont très proches des hommes, donc médicalement, ce qui se produit chez les rats est valable chez les hommes (cfr Softenon) ;

Exemple : raisonnement par métaphore (attribution de caractéristiques d’un objet connu à un autre objet à connaître) ; compréhension de la reproduction humaine : jusqu’au néolithique, phénomène divin (déesse mère) ; puis élevage et agriculture (graine dans un jardin) ; découverte de l’ovule et des spermatozoïdes.

Conclusion : la subjectivité fait partie intégrante de nos tentatives explicatives de la complexité.

• ce qui vaut pour le chercheur, vaut aussi pour les témoins qu’il interroge. Eux aussi sont victimes de leur subjectivité : ils ont vu ou observé, puis interprété et enfin rapporté un événement. Autant d’étapes durant lesquelles ils n’ont pas agi comme des robots mais bien avec leur personnalité, leurs connaissances et leur cadre de référence (• compétence = bien observer et comprendre ; • exactitude = bien décrire ; • sincérité = ne pas avoir intérêt à falsifier)...

• Établir des lois ?

Si l’homme de science établit les faits, c’est pour, ensuite, comprendre les hommes et leur comportement dans la société qui est la leur. Le but final est-il de découvrir des « lois » ? Laissons parler Mendras à ce sujet :

«Toute science, dit-on, doit formuler un jour des lois. À la fin du siècle dernier, dans l’euphorie des premières découvertes et sûrs de leur foi au progrès de l’humanité, beaucoup de sociologues ont dit qu’il y avait des lois sociales. Aujourd’hui, il convient d’être plus modeste. Probablement y a-t-il des lois sociales, mais ne cherchons pas à les formuler trop rapidement, contentons-nous de découvrir des régularités, de constater que si A se rencontre toujours, dans notre expérience, avec B, cela ne veut pas dire que A soit la cause de B, ni même que A soit indissociable de B. L’étude de ces régularité permet dans une certaine mesure de faire des prévisions; de dire par exemple que si vous voulez A, vous aurez aussi probablement B.»

• 2. Objectifs particuliers

Au-delà de ces objectifs généraux, il en est, bien entendu, qui sont particuliers à l’étude qui démarre. Si les premiers sont implicites à toute recherche, les seconds doivent être très clairement explicités. Il faut, d’emblée, définir avec grande précision le concept que l’on veut atteindre. Si l’on reprend les exemples du chapitre premier, qu’est-ce très précisément que «la fécondité» ou «la qualité de la vie»? Cette définition est capitale car elle va dicter le type de données à collecter. Les moyens pour atteindre l’objectif fixé consistent en un certain nombre de réponses à des questions.

E. LE QUESTIONNAIRE OU LA PROBLÉMATIQUE

• Le chercheur va dresser la liste de toutes les questions auxquelles il doit répondre. L’objectif de recherche défini, un premier questionnaire est établi sur base

- des connaissances du chercheur, de son expérience personnelle

- connaissances alimentées par l’enseignement reçu au sens large

- et par les lectures qui vont s’imposer à lui et qui vont susciter d’autres interrogations

Collecte : Une fois sur le terrain pour effectuer ses observations, le chercheur, au cours de ses interviews par exemple, va se rendre compte que tel ou tel fait, inconnu ou considéré comme négligeable, est en réalité ressenti comme essentiel par les témoins interrogés. Il faut dès lors revoir, en la complétant, la problématique initiale.

Traitement et interprétation : Durant l’étape suivante de la démarche scientifique, et que nous verrons ultérieurement plus en détails, à savoir le traitement de toutes les données collectées, le chercheur va peut-être à nouveau découvrir le besoin d’intégrer une variable jusqu’alors ignorée.

Si l’on schématise la logique de la démarche dans l’ordinogramme ci-dessous, on dit que le questionnaire est l’objet d’une itération : il ne sera complet et définitif qu’au terme de l’étude.

F. CONCLUSION : IMPORTANCE DE L’HEURISTIQUE

Tout ce qui précède montre l’importance qu’il y a à retrouver toutes les publications relatives au sujet. Cette opération s’appelle l’heuristique. Outre qu’elle permet de se rendre compte si le travail envisagé n’a pas déjà été réalisé par quelqu’un d’autre, elle contribue à perfectionner le questionnaire et les méthodes.

1) Première question : repérer les « références » utiles ou dresser la « bibliographie »

Quels sont les instruments de travail pour faire une bonne heuristique, pour identifier toutes les références utiles ? Une référence, c’est l’identification (codée) d’une publication : auteur (ou plusieurs), titre, ensemble (revue/recueil), lieu et une date de publication. Une bibliographie, c’est une liste raisonnée de références.

• 1er niveau, très général : encyclopédies et grandes synthèses (manuels)

Encyclopédies : exposés des connaissances, dans l’ordre alphabétique (permet un accès aisé), qui donne : une synthèse des connaissances, un état de la question, une bibliographie de départ ;

Grandes synthèses (manuels) : la même chose, mais dans un ordre thématique (accès à l’information moins immédiat).

• 2e niveau : dépouillement des bibliographie des travaux repérées encyclopédies et grandes synthèses (manuels), où l’on trouve le relevé de livres et articles utiles.

Ces références sont soit des livres, parfois appelés monographies, soit des articles parus dans des revues/périodiques ou des recueils.

Les livres sont souvent la synthèse de plusieurs années de recherche et couvrent en général un sujet assez large.

Les articles de revue, par contre, traitent plutôt de matières plus limitées et sont souvent la première révélation des résultats d’une recherche.

Il est important de bien faire la distinction entre ces deux formes de publications pour cette raison, mais aussi parce que les outils permettant de les identifier sont souvent distincts.

• 3e niveau : dépouillement des bibliographies

Il est des entreprises, des travaux, dont le but est de recenser tout ce qui paraît dans une discipline : ce sont les bibliographies.

Elles peuvent être :

• générales ou spéciales : toutes matières/une discipline

• rétrospectives ou courantes : les unes sont dites « rétrospectives » : dressées à un moment donné, elles recensent tout ce qui est paru jusqu’à cette date. D’autres sont dites «courantes». Ce sont celles qui effectuent ce recensement selon une périodicité régulière : hebdomadaire, mensuelle, trimestrielle, etc. Le C.N.R.S. en France par exemple, ou la Bibliographie de Belgique chez nous, fait ce relevé discipline par discipline tous les mois.

• « critique » : assortie de commentaires plus ou moins fouillés. « Abstracts » : certaines de ces bibliographies courantes vont plus loin que la simple énumération de titres de livres ou d’articles et font un résumé très court du contenu ce ceux-ci. Ce type de résumé s’appelle de plus en plus, et même en français, « abstract ». En sociologie par exemple, on peut consulter le Sociological abstracts. Il existe également des revues qui publient des recensions (20 lignes de commentaires) et/ou des comptes rendus critiques (plusieurs pages).

• universelles ou nationales : Il est des relevés, généralement «courants», qui se iratiquent par pays et qui sont en général orchestrés par les Bibliothèques nationales. Ce sont précisément les bibliographies nationales. Il est des relevés qui englobent tous les pays (universels), mais qui alors se limites à un domaine, relativement spécialisé (RHE) : ce n’est plus possible de faire des relevés universels et généraux…

• exhaustives/sélectives : les bibliographies peuvent viser à être complètes (exhaustives) ou bien viser le meilleur de la production, le plus utile (sélectives) : il faut donc tenir compte de leur «couverture». On entend par ce dernier terme la proportion de la production scientifique recensée par rapport à la production réelle : les limites les plus fréquemment rencontrées sont géographiques et linguistiques. Les bibliographies américaines par exemple négligent souvent ce qui n’est pas anglo-saxon.

• Les banques de données

Beaucoup de ces outils paraissant sur support papier sont en réalité préparés sur ordinateur. La masse des informations que contiennent ces bibliographies sont de plus en plus encodées, stockées et gérées sur supports informatiques. Et, au lieu de diffuser leurs résultats sur papier, les producteurs vendent l’accès direct (on line) à la base de données. Dans ce cadre-là, une autre pratique se généralise : ces mêmes producteurs font une copie de la base de données sur une matrice de disque, à partir de laquelle on multiplie les disques diffusés dans le commerce : les CD-ROM lisibles sur des PC. Grâce à internet, l'accès aux bases de données est aujourd’hui grandement facilité.

Durant les exercices de recherche documentaire associés à ce cours de critique historique, les étudiant(e)s auront l’occasion d’expérimenter les techniques qui y sont associées.

2) Deuxième question : comment trouver concrètement les livres repérés (les « références »)

Les livres et articles indispensables à l’étude, une fois identifiés, il reste à y accéder. C’est le rôle des bibliothèques. On vérifiera si la bibliothèque possède ces ouvrages en consultant les catalogues de cette institution. Les catalogues ne sont rien d’autre que l’inventaire des livres ou des revues présentes et disponibles pour le lecteur.

Nous avons donc envisagé l’heuristique dans son concept étroit de recherche de publications (travaux) scientifiques consacrées à un sujet. On peut l’entendre plus largement en y englobant la collecte des données dont on va débattre (sources).

Chaque chercheur, dans son domaine, doit connaître ces instruments de travail : leur existence, etc.

N.B. : Exemples de banque de donnée : « Libellule » et « Francis », cfr initiation au travail en bibliothèque.

CHAPITRE 3

COLLECTE DES DONNÉES :

DÉFINITIONS

• Quelques interrogations banales fréquemment entendues :

• « quelles sont vos sources d’information? »

• « il y a peu de documents qui traitent de ce sujet »

• « ce document est riche en informations, c’est une excellente source »

• En fait, tous ces mots ont un sens « technique précis » : il s’agit ici de les définir et de se les « approprier »

A. NOTIONS DE BASE

1) Information

Le mot information est aujourd’hui utilisé dans un grand nombre de sens.

• Le sens le plus littéral nous paraît être celui de « parcelle de savoir qui vient mettre en forme et modifier la connaissance ».

Il semble admis aussi, dans l’abondante littérature aujourd’hui consacrée au sujet, que l’information est un « message reçu », qui suppose un émetteur et un récepteur. Elle possède donc une structure tripartite.

• Fréquemment, et dans un sens relativement proche du précédent, le mot information est associé aux grands médias : informations télévisées et de presse.

• La tripartite évoquée est évidemment présente : un émetteur qui est l’auteur appelé généralement journaliste, un message qui est l’article et les informations qu’il contient et en fin le récepteur qui est le lecteur ou le téléspectateur.

• multiplicité des lectures du concept d’information :

Les manières d’appréhender la notion d’information sont multiples, et partant, sa définition également.

-On peut, par exemple, se braquer sur l’aspect économique :

une information est un message qui a une valeur.

Sa conception et sa création ont sans doute coûté du temps et de l’argent à son auteur, la mise à disposition également, et le destinataire, riche de ce nouveau message, peut à son tour en tirer profit.

-Une lecture juridique du concept d’information est un autre exemple. L’homme de loi sera attentif alors, toujours dans la structure tripartite évoquée, aux

droits de l’émetteur et parlera de

droits d’auteurs pour les « créations intellectuelles » (une chanson, un livre, un logiciel, une banque de données,…)

et pour les « créations industrielles » (brevets, secrets industriels,…).

Du point de vue du message, il se préoccupera notamment

du respect de la vie privée.

Quant au destinataire, le juriste lui reconnaît le droit de recevoir une information vraie et lui fixe des limites dans l’utilisation qu’il peut faire de cette information.

2. Document

Le terme document peut être présenté plus rapidement.

Nous le considérons ici comme le support physique et statique qui contient précisément l’information.

3. Source

La source, c’est l’ensemble : document plus information.

- Mais nous considérons cet ensemble comme une source à partir du moment où le chercheur l’utilise pour en retirer l’information. Si je vais acheter mon journal, je dis pas « je vais acheter « ma source » ; non : mon journal, c’est mon journal ; par contre, si je fais une enquête d’opinion au départ de la presse, je peux qualifier mon journal de « source ». On va revenir sur cette notion.

- Cas particulier : on peut d’ores et déjà signaler des situations où le message se confond avec le support. C’est le cas des monuments historiques ou de toute trace archéologique : exemples : les différents cercles concentriques que constituent les vestiges des murs d’enceinte d’une ville médiévale révèlent la croissance démographique de cette zone d’habitat; le géographe, l’anthropologue, le sociologue, l’historien scrutant le paysage qui est devant eux déduisent de cette lecture une masse d’informations sur les techniques agraires, les formes d’habitat, les pratiques collectives,…

- Cas particulier : Il est des situations où le support de l’information est apparemment absent, comme le discours au moment où il est prononcé.

Conclusion

• L’information, dès cette première approche étymologique, présente des visages variés et multiples.

• ICI : Mieux la cerner encore suppose que l’on se limite à des aspects relevant plus spécifiquement de nos sciences humaines et de la critique historique.

Dans un diptyque néanmoins : le message lui-même d’une part, son support d’autre part.

B. TYPOLOGIE DE L’INFORMATION

À vouloir classer, énumérer des types d’information on peut,

• Dans un premier temps, le faire en tenant compte de la forme selon laquelle elle est fournie.

• S’agissant dans ce cours de méthodologie de la recherche scientifique, on considérera également l’information dans le schéma relationnel incluant le rapport « savant et le phénomène » qu’il étudie.

1. Typologie selon la forme

Sens utilisé

Dresser une typologie de l’information selon la forme avec laquelle celle-ci se présente, c’est aussi la répartir selon le sens utilisé par l’individu pour la capter.

• Ouïe (information sonore)

• Il y a l’information sonore qui fait appel à l’ouïe : communication téléphonique, chanson, discours,…

• Avec l’ouïe, la vue est le sens associé le plus souvent à la réception d’un message (information visuelle et audio-visuelle).

• Dans les situations exceptionnelles, le toucher (information tactile) remplace la vue : le cas bien connu de l’écriture Braille illustre cela.

Plus complexe que les « sens » : idée d’information textuelle

• On parle d’information textuelle dans le cas du livre (ou support équivalents digitalisés, photographiés, etc.) : elle y est à la fois alphabétique, numérique, et si nécessaire, schématique.

-Alphabétique = mots et phrases (langage articulé)

- Lorsqu’elle ne comporte que des chiffres comme les publications statistiques par exemple, elle est dite numérique

-ne pas confondre numérique, avec numérisée ou digitale : En informatique, toute information élémentaire (caractère alphabétique, numérique, signe diacritique, fréquence sonore,…) se traduit par la combinaison binaire des 1 et 0. Une information ainsi convertie, notamment pour un traitement informatique, est dite numérisée ou digitale (expliquer).

-L’information basée uniquement sur des schémas, dessins, photos,… s’intitule graphique et parfois visuelle : les cartes géographiques appartiennent à cette catégorie.

Quel peut être l’intérêt de cet exercice de typologie dans notre perspective critique?

• Il nous fait d’abord découvrir la notion de support pour laquelle nous avons déjà évoqué l’intérêt. Le support peut en effet influencer la façon de « lire » et de décrypter une information; on reviendra sur ce point. Exemple : information écrite sur papier, bande magnétique, disque vinyl, CD, écran ordinateur : méthodes de lecture et de contrôle différents (écriture ≠ son)

• Disons déjà que le psychologue distingue l’image/le son de l’expression verbale ou textuelle, l’une appartenant au processus primaire (monde du rêve, de l’émotion), les autres au processus secondaire (pensée raisonnée).

-Il n’y a de sens que nommé (Barthes), c’est-à-dire exprimé dans un langage articulé : du point de vue de la perception, autant le système éducatif apprend une « syntaxe » de lecture du texte, autant la « lecture » d’une image ou d’un son n’obéit à aucune convention, ce qui entraîne une polysémie de l’image.

- Importance de la sémiologie (exemple le geste du sel)

Les spécialistes de la sémiologie (étude des signes de la communication) aiment opposer image et texte. L’image représente des objets concrets tandis que le texte est plus apte à évoquer des concepts abstraits.

- Idée de messages mixte :

Et d’ajouter que dans l’audiovisuel, le texte vocal est indispensable pour limiter la polysémie de l’image, que le son (musique) parvient à mettre une ambiance, un climat.

La concurrence de l’image, du texte dit et du son est une caractéristique de l’audiovisuel sur laquelle on reviendra certainement.

Importance de la « durabilité » du support

« Verba volant… ». Ensuite, cet exercice de typologie nous révèle l’existence de documents dont l’information est de nature volatile : une conversation téléphonique, par exemple, appartient à ce genre.

La possibilité ou l’impossibilité pour le « récepteur » de revenir sur l’information ou de s’arrêter sur elle est importante d’un point de vue critique : un livre, je peux le relire, prendre le temps de l’analyser ; pas un discours. Cette notion de récepteur nous rappelle fort à propos le schéma :

Chercheur → Document ← Phénomène

Récepteur → Message ← Émetteur

Qui nous introduit au second point : un classement des sources en fonction de la relation chercheur-phénomène

2. Typologie selon la relation chercheur-phénomène

On peut, sous cet angle également, faire une typologie de l’information selon la relation chercheur-phénomène.

Nous distinguerons :

1) d’abord l’information disponible : celle qui existe indépendamment du chercheur et que celui-ci peut analyser.

2) Ensuite, l’information suscitée correspond à celle que le chercheur fait naître ou provoque.

3) Enfin, le chercheur peut se rendre sur le terrain, se mêler à la société qu’il étudie : on parlera alors d’observation.

4)

1) information disponible

C’est l’information dite disponible qui va surtout retenir notre attention. Nous la subdivisons elle-même en information brute et en information élaborée.

Information disponible brute

L’information brute existe, comme on vient de le dire. Mais si elle existe, ce n’est pas à l’intention du chercheur (exemple de tout à l’heure mon journal). Si je décide de la « rencontrer » parce qu’il est certain qu’elle peut m’apporter un message, cette information et son document qui la porte deviennent une « source ».

On distingue traditionnellement source matérielle, source d’archives et source littéraire.

Toute trace laissée par l’homme ou la collectivité peut devenir porteuse d’information : on a cité plus haut les traces archéologiques et les paysages eux-mêmes qui deviennent des sources pour qui veut les « lire ». Celles-ci sont dites matérielles.

Les sources d’archives sont des sources écrites. Alors qu’autrefois l’écriture supposait un scribe pratiquant le geste d’écrire avec un instrument, la notion est bien sûr aujourd’hui élargie : dans une entreprise, les bandes magnétiques contenant les ordres de paie à la banque pour les employés de cette maison sont des sources écrites.

On les dira même « d’archives » car elles sont produites par une institution. Une personne agissant au nom d’une institution et rédigeant un document dans ce cadre produit également une source d’archives. L’état civil, par exemple, appartient à cette catégorie. Pourquoi ? Parce qu’elles impliquent un contrôle (exemple : un acheteur et un vendeur).

La source dite littéraire est aussi écrite, avec une nuance peut-être que nous évoquerons. Les romans, qu’ils soient de fiction ou autobiographiques, les mémoires, les discours, les pamphlets… appartiennent à ce monde littéraire : ces sources ne prétendent pas dire le réel ; elles se présentent comme des récits narratifs, qui veulent raconter une histoire.

La nuance que nous annoncions concerne les sources orales. Discutant ici de l’information brute et non de l’information suscitée, on n’évoque pas ici les interviews mais l’information qui se transmet par la parole uniquement. Ces pratiques sont souvent le fait des sociétés sans machinisme. Légendes, récits mythiques… C’est notamment le monde de l’anthropologue et de l’ethnologue. Certains rangent les sources orales dans le genre littéraire, d’autres leur réservent une place à part.

Information disponible élaborée

L’information élaborée est ainsi appelée parce qu’elle a été fabriquée dans le seul but que le chercheur et, plus largement, le public, puissent y recourir pour s’informer.

Des personnes, payées par un marchand d’information ou par une institution publique, ont collecté de l’information sur le terrain, l’ont traitée et synthétisée. Le marchand ou l’institution la publient à l’intention du public.

Cette information élaborée appartient alors aux sources dites publiées ou éditées. Ce concept va d’abord être présenté puis, nous verrons que le degré « d’élaboration » de cette information interpelle la critique historique.

Les statistiques publiées sont l’exemple qui s’impose ici. La Banque nationale de Belgique, les banques, l’Institut national de statistique, les ministères, la CEE, l’UNESCO… publient officiellement les résultats de leurs comptages, enquêtes…

Exemple : Le recensement décennal de la population en Belgique est un exemple parmi les milliers de sources publiées qui nous permet de comprendre ce que signifie « élaboré ».

• Au départ d’un recensement de population, chaque individu et chaque ménage fait l’objet d’une description : un formulaire est rempli par l’individu ou le chef de ménage et des agents recenseurs sont chargés d’aider et de superviser ces déclarations. Ce n’est évidemment pas ce formulaire complété qui sera publié. Ce formulaire appartient à la catégorie de sources évoquée plus haut : les sources d’archives.

• Ce formulaire va suivre son bonhomme de chemin.

Un employé va le coder (réduire à un code des mentions répétitives comme le sexe du déclarant).

Un autre va probablement en faire la saisie sur un support informatique et sera ainsi constituée une banque de données que le statisticien-démographe va traiter.

On va additionner les individus, les ménages, faire des comptages par communes, par cantons, par arrondissements, par provinces.

Les résultats qui seront publiés ne seront que des sommations et des agrégations de ce type, nous éloignant très fort de l’information primaire mais nous évitant par contre de refaire des calculs énormes à partir d’elle.

Le travail est mâché, c’est le rôle de l’information élaborée. De plus elle est facilement accessible puisque les bibliothèques et même les particuliers peuvent acheter ces publications. De plus en plus, ces informations sont disponibles en édition électronique : non plus sur papier mais sur des supports optiques ou informatiques. On parle alors de banques de données factuelles, accessibles en ligne (on line) sur les ordinateurs des « producteurs » d’informations ou ceux des « serveurs » louant leurs équipements informatiques à ces producteurs. De plus en plus également, ces banques de données sont copiées régulièrement sur des supports tels que les CD-ROM et lisibles sur un ordinateur personnel.

La notion d’information élaborée étant comprise, il faut bien saisir « le degré » d’élaboration.

« Chiffres réels »

• Le chiffre de population qui apparaîtra dans l'Annuaire statistique résumant par des sommations et des agrégations les observations élémentaires faites au sein des ménages est un chiffre réel et ne veut rien signifier d’autre qu’un effectif de population à un endroit à un moment donné.

Ou « indicateur »

• D’autres informations, que nous qualifions aussi d’élaborées, n’ont pas ces caractéristiques. Ce sont les estimations et les indicateurs.

Lorsqu’il est trop pénible et trop coûteux d’aller sur le terrain pour compter ou mesurer le phénomène étudié, il faut bien se résoudre à faire des estimations.

[Exemple : Il n’est pas déraisonnable pour l’économiste de connaître, par exemple, la valeur de la production agricole de son pays.

Ainsi, la Banque nationale de Belgique procède annuellement à cette estimation.

Exposer rapidement la méthode utilisée par elle, montre assez bien la distance entre une observation réelle et une estimation :

• La production agricole y est divisée en deux volets: la production végétale et la production animale.

• Seule la première va être évoquée ici.

• On se rend vite compte que la production végétale telle qu’elle est comprise exclut la production des forêts et celle de l’horticulture.

• Soit. La production végétale « se fait en multipliant les superficies cultivées (en ha) relevées lors du dernier recensement, par leur rendement moyen (exprimé en 100 kg par ha) ».

• Le rendement utilisé dans la formule (Production = Superficie x Rendement) est lui-même le résultat d’une estimation : c’est la moyenne de résultats observés chez cinq cents correspondants.

• L’étape ultime est la conversion des données estimées en nature en valeur monétaire. Là aussi on travaille à grand renfort de prix moyens et d’arrondis.

La méthode est valable mais l’utilisateur de ces données doit bien être attentif à ce qu’elles recouvrent.

• Néanmoins, les estimations sont des données précieuses pour le chercheur.

• Il est des endroits d’ailleurs où il est préférable de se baser sur des estimations bien menées plutôt que sur des données soit disant issues d’observation.

Dans pas mal de pays en voie de développement par exemple, où l’état civil est très mal tenu et les recensements de population fort lacunaires, les démographes préfèrent fabriquer des estimations correctes à partir de renseignements partiels mais de qualité. L’indicateur est un type particulier d’information élaborée.

On peut le définir comme étant, par rapport à l’ensemble du phénomène à étudier, un élément révélateur du comportement de cet ensemble. On ajoutera, pour être complet, que l’indicateur au sens strict retenu ici, suppose le consensus de la communauté scientifique en ce qui concerne cette qualité de « révélateur ».

• Certains indicateurs comme le Dow Jones sont basés sur des valeurs réellement observées et mesurées.

• D’autres sont moins le résultat de mesures concrètes. C’est le cas notamment des « indicateurs synthétiques » qui, par définition, vont jusqu’à faire la synthèse de plusieurs indicateurs : l’indicateur synthétique du climat économique CEE est la combinaison de l’indicateur de confiance de l’industrie manufacturière + celui de l’industrie de la construction + celui des consommateurs + l’indicateur des appréciations des investisseurs. Mis en graphique, il visualise l’optimisme économique de la société européenne, comme un baromètre mesure la pression atmosphérique, à la différence essentielle près que la mesure est purement abstraite.

Du point de vue de la critique historique, il est important d’être attentif d’abord à ce fait : le caractère abstrait ou concret de ce que l’on mesure et, par ailleurs, la différence entre une observation réelles sur le terrain et une valeur estimée.

Ensuite, on ne pourra jamais oublier que toute information élaborée implique de nombreux intermédiaires entre l’observation initiale et l’édition des résultats. Par ailleurs, l’information élaborée suppose souvent des sommations et des agrégations de données brutes : les chiffres nationaux sont la sommation de chiffres provinciaux, eux-mêmes de chiffres par arrondissement synthétisant les chiffres des communes. Et ne répondez pas que les « erreurs s’annulent » car, dans bien des cas, les erreurs se cumulent au gré des sommations. Enfin, ces opérations ne peuvent qu’entraîner une perte de précision à chaque étape. Reprenons le cas d’un recensement : les données nombreuses et précises sont collectées au niveau des ménages; agrégées par communes, puis par arrondissements et par provinces, elles ne permettent plus d’analyser des comportements individuels. Réduit à les utiliser, le chercheur a perdu en quantité et en qualité d’information.

2) Information suscitée

Information « brute » et « élaborée » sont donc deux types d’information qui sont disponibles de manière relativement directe au chercheur. Il peut toutefois arriver que celui-ci doive la créer lui-même, en provoquer l’apparition; l’information sera alors suscitée.

• Pour l’obtenir, le chercheur doit procéder

soit par interview, où tous les individus interrogés – souvent un échantillon– reçoivent le même questionnaire,

soit par entretien, qui constitue un dialogue personnalisé amenant le sujet à raconter tel ou tel événement qu’il a vécu (autobiographie,…). Ces deux modes d’interview sont à distinguer fondamentalement du point de vue de la critique historique : le premier a généralement comme but de connaître l’opinion d’un groupe, le second vise à connaître la réalité des faits (vérité) passés.

3) Obsevation

On parlera d’observation lorsque le chercheur se rend sur le terrain. Cette observation peut être volontaire, lorsque le chercheur vit un événement ou s’immerge dans une population et l’observe : c’est le cas de l’ethnographe. Elle est dite involontaire, lorsqu’il est témoin d’un événement sans l’avoir voulu.

CHAPITRE 4

CRITIQUE EXTERNE ET CONSTITUTION DU CORPUS

Après une longue introduction sur comment se construit une recherche scientifique (choix d’un sujet, définition d’une problématique, heuristique), sur les différents types de données (typologie selon la forme et selon la relation chercheur/phénomène), nous entrons dans l’analyse du processus de « critique de l’information ».

Rappel du schéma

- témoin/témoignage

- pour le témoin : document (externe)/celui qui parle (interne)

- pour le document :

on s’attache à la forme et non pas encore au contenu.

on cherche à vérifier

-« l’authenticité » et « la provenance » des documents

- leur « originalité » et

- pour les cas où nous ne disposons plus du témoignage original, on essayer de le « restituer »

A. CRITIQUE D’AUTHENTICITÉ ET DE PROVENANCE

Donc avant toutes choses, on se demande si le document étudié est vrai ou faux, un original ou une copie, en un mot, s’il est authentique.

• C’est le document physique) que j’ai devant moi, qui doit être vrai ou faux, pas son contenu :

• vous avez des « faux » qui disent la vérité (ex. : chartrier du MA reconstitué après incendie) – c’est rare, car généralement, on fabrique un faux pour tromper : d’où cette première étape de la critique

• et il y a des « vrais » qui mentent : (ex. : c’est le cas le plus courant)

La question, c’est de savoir si le document est « Authentique », c’est-à-dire s’il a bien été écrit par celui qui dit l’avoir écrit.

Exemples de faux : faux journal d’Hitler (Der Spiegel) ; problème du journal d’Anne Frank (manuscrit écrit au Bic…)

Un document vrai ne dit donc pas nécessairement la vérité (figure n° 5).

Figure no5

C. Commentaire :

Gauche Droite

Témoin = Document [support] Document = témoin [qui parle]

CRITIQUE EXTERNE

1) Forme extérieure = 2) Caractères externes

= papier, écriture, sceau, etc.

3) Forme intérieure = Caractères internes

= style, vocabulaire, etc. = identité de l’auteur

CONCLUSION : DOCUMENT VRAI OU FAUX

CRITIQUE INTERNE

1) Forme extérieure = 2) Caractères externes

= papier, écriture, sceau, etc.

3) Forme intérieure = Caractères internes

= style, vocabulaire, etc. = identité de l’auteur

Contenu (faits, événements, etc.)

CONCLUSION : TÉMOIN DIT VRAI OU MENT

Ne pas confondre sens historique et sens juridique

En droit belge, le terme « authentique » a un sens très précis défini par le Code civil (Livre III, titre III, art. 1317) : l’acte authentique est celui qui a été reçu par officiers publics ayant le droit d’instrumenter dans le lieu où l’acte a été rédigé, et avec les solennités requises. Cette définition étroite n’est pas celle qui nous préoccupe ici.

Comment procéder

La critique d’authenticité s’attachera donc d’abord à l’aspect formel du document en vérifiant :

• ses caractères externes (forme du document) :

type de support (papyrus [jusqu’au 7e s.], parchemin [jusqu’au 11e s.], papier végétal bois [Chine = -8 > arabes au 8e s. > Italie au 11e s. > France 12e ], papier + chiffons (valent chers > « se battre comme des chiffonniers »…], etc..

Encre : noir de fumée > oxyde de fer > aniline

Écriture : majuscule grecques et romaines, cursive caroline (minuscules avec ligatures (exemples : tilde et esperluette), cursive gothique, écriture humaniste (romaine, italique, Geneva, etc.)

Sceau, cachet, marques, etc.

• Elle s’assurera ensuite de l’identité de l’auteur en étudiant notamment les caractères internes (forme du message) : est-ce bien le style de cet auteur, son vocabulaire, etc.?

C’est bien beau, mais si l’auteur est inconnu : c’est comme s’il n’y avait pas d’auteur : au pire, on essaiera d’identifier le « milieu » auquel appartient l’auteur (sa formation, sa profession, etc.).

• La problématique en sciences humaines se rapproche de celle de l’historien :

La question de savoir si le document est vrai ou faux est un problème récurrent !

Sur le Web (Internet), on se pose continuellement la question d’authenticité : tel texte attribué à tel auteur, telle photo, sont-ils bien ce qu’ils prétendent être ? Il y a intérêt à se le demander ! Je consulte Wikipedia sur mon Collègue historien Jean Pirotte ; qu’est-ce que je vois : sa photo n’est pas la sienne, mais celle d’un autre collègue, Guy Zelis. C’est tout le temps comme cela… Autre exemple : les films de Roger Hanin (90 ans, handicapé) : il ne tourne que les scènes avec visage ; tout le reste, ce sont des doublures… Idem star dans les magazines people ; corps refaits !

Les difficultés sont beaucoup plus grandes aujourd’hui, en raison du développement des technologies : un texte « encodé » sur Internet, par exemple, ne présente plus aucun caractères externes permettant un contrôle

Mais dans le même temps le développement des techniques d’étude s’est lui aussi considérablement développé, tant pour les caractères externes (quel type de police de caractères a été utilisé : True Type, Bit mat, type I ? et quelle est l’adresse IP [Internet Protocole] ; cfr référencement Google) et surtout internes (étude du style, des mots, par l’analyse de contenu, etc.).

Lorsqu’on ne sait qui est le véritable auteur d’un document, tenter de répondre à cette question relève de la critique de provenance.

Précisons :

1) notion d’auteur

• L’auteur matériel est celui qui, matériellement, confectionne et met en page le texte ou plus généralement organise l’information sur le support.

• L’auteur intellectuel est le « créateur » du message, celui qui le conçoit (les hommes publics écrivent rarement leur discours eux-mêmes : il n’ont pas le temps, ni souvent la connaissance technique nécessaire.

• L’auteur officiel, lorsqu’il existe, est celui qui prend la responsabilité de la diffusion ou qui est le commanditaire du travail (Ministre, Pape, etc.)

. • Souvent, il y a plusieurs auteurs pour un même texte; c’est le cas pour un texte de loi (les parlementaires sont à l’origine d’une proposition de loi > une commission discute le texte qui est alors soumis au Parlement (avant Chambre et Sénat + retour…) > amendements > retour en commission >… vote final > signature par le Roi (sanction et promulgation) et son ministre (contreseing ministériel) > publication au Moniteur.

2) En réalité, l’auteur dont on vient de parler, est celui qui est nommé témoin en critique historique.

• Dans un sondage d’opinion, le témoin sera donc celui qui répond à l’entretien ou à l’interview

• L’ethnographe appellera plutôt son témoin informateur.

• Témoin, auteur, interviewé, informateur sont donc ici des synonymes, et ce sont eux qu’il faut identifier, parce c’est d’eux que dépendent l’information…

• pseudonymes, attributions erronées, etc.

: date et lieu

Il est également important lorsqu’on procède à la critique de provenance de dater le document et d’établir le lieu de sa création :

• ils peuvent être « falsifiés » ou manquants ! Exemples des documents antidaté ou postdatés (en justice, c’est essentiel) ;

• ce sont des informations nécessaires pour la suite : la date de rédaction et le lieu renseignent sur le milieu auquel appartient l’auteur, sur sa personnalité, ses destinataires nous aideront notamment lors de la critique d’interprétation.

1) La datation s’opère, comme en critique d’authenticité,

• par l’analyse des caractères externes (papier, etc.) et des caractères internes (langues, etc.). Donation de Constantin

• Mais aussi par le contrôle du contenu : les événements ou réalités cités, les personnages évoqués, etc.

• Dans l’impossibilité de dater précisément le document, on en fixera au moins le « terminus a quo » et le « terminus ad quem ». La date des événements rapportés sera consignée avec soin.

: Le lieu

• Le lieu de production du document doit aussi être identifié ou confirmé par les mêmes procédés.

• Le lieu et/ou le milieu.

• On distinguera aussi le lieu de création et le lieu où se déroulent les événements rapportés. [dias]

Un cas particulier : les « sources d’archives »

• rappel distinction « source d’archives » (formulaire, non diffusé = dépôt d’archives) et sources littéraires (libre et diffusé en bibliothèques)

• formulaire : La critique de provenance vérifie également si la forme du document et la structure du texte sont respectées. Certains actes en effet ne sont pas rédigés au hasard : ils respectent un formulaire établi par le droit (nos textes de loi par exemple) ou par une pratique professionnelle (notaires).

• l’histoire du document, depuis sa production (dans quel milieu, pour quels destinataires) jusqu’à sa conservation : un contrat de vente doit avoir été conservé chez le notaire instrumentant…

CHAPITRE 4

CRITIQUE EXTERNE ET CONSTITUTION DU CORPUS

B. CRITIQUE D’ORIGINALITÉ

• Comment le témoin a-t-il eu connaissance des faits : a-t-il vu et entendu lui même ce qu’il rapporte (témoin direct, oculaire), ou bien rapporte-t-il le témoignage de quelqu’un d’autre (témoin indirect) ? Qui dit témoin indirect dit possibilité d’altération du témoignage (jeu des chaînes verbales aux scouts) ; le témoignages vaudra au mieux ce que vaut le témoin direct (c’est lui qui va devoir être critiqué dans la suite)

• Ceci dit, pour moi, on est ici dans la critique interne (celui qui parle dans le document), plutôt que dans la critique externe (le document concret, le support)…

1. La problématique de l’historien :

témoin direct ou indirect, mais aussi « indépendant »

• le témoin d’un événement est direct lorsqu’il a vécu cet événement, indirect lorsqu’il rapporte les faits vécus par un autre ;

• mais il peut aussi être indépendant : lorsque son témoignage n’est influencé par personne.

• Cette critique d’originalité trouve aussi bien son utilité dès lors qu’un chercheur se penche :

- sur l’analyse de sources littéraires (l’auteur a-t-il été influencé par d’autres auteurs ?) ;

- ou sur une enquête d’opinion (l’opinion exprimée est-elle bien celle de la personne interrogée ?) : gros problème des sondages : je réponds ce qu’on attend de moi !

2. Indépendance du témoin et comparaison

Le témoin est-il indépendant ou non ? Pour répondre à cette question, la critique historique classique recommande de recourir à la technique de la comparaison. Il faut commencer par dresser une liste de tous les individus qui auraient pu être une source d’inspiration du témoin (dans le cas de l’étude d’une source écrite) ou qui auraient pu l’influencer (dans le cas d’une étude d’opinion).

On compare alors le témoignage de ces personnes avec celui du témoin, et on essaie en outre d’établir le sens des relations entre les intervenants.

3. Caractère direct et analyse interne

Par contre, pour s’assurer du caractère direct du témoignage, on recourra à une analyse interne. Face à une source littéraire, on peut s’interroger sur le caractère direct ou indirect de certains passages en se posant quatre types de questions :

– le récit est-il vivant ? On raconte en général mieux, plus précisément et avec beaucoup de détails, un fait qu’on a vécu soi-même.

– y a-t-il présence de faits antérieurs à la naissance de l’auteur dans le texte ? Si oui, alors le récit de ces faits provient d’autres témoins.

Il faut tenir compte ici des problèmes de mémoire : Il existe des âges auxquels la mémoire n’est plus fidèle ou auxquels la perception du fait en cause est très partielle (de 0 à 10 ans par exemple). Une étude chronologique des faits rapportés et la biographie de l’auteur, technique à première vue banale, apportent pourtant souvent de précieuses indications.

– sont-ce les idées de l’époque et du milieu auxquels appartient cet auteur ? Sont-ce bien celles-là qu’il rapporte ?

Il faut ici être prudent : on peut être un « marginal », avoir des idées originales et qui tranchent avec les réalités d’une époque ; on vise ici des idées qui sont « inconcevables » à un moment (exemple : en 1940-1944 en Belgique, certains faits « révélés » plus tard ne pouvaient pas être connus de Monsieur tout le monde [bombe nucléaire, par exemple : si le témoin en parle, c’est par erreur de mémoire…].

– l’auteur a-t-il eu recours à des traditions orales pour certains récits ? La question, pertinente surtout chez l’ethnographe et l’anthropologue, est plus délicate et est affaire de spécialistes (Bible, littérature [Omer]).

Disons néanmoins que l’information dont l’origine est la tradition orale souffre d’un grave défaut : la difficulté que l’on rencontre pour la dater. Mais sinon, elle peut-être très utile (exemple fouille de Saint-Pierre à Rome ou fourneau de Marsole, retrouvé par la tradition toponymique !).

C. APPLICATION : LE JOURNAL TÉLÉVISÉ

Figure n° 6 : critique externe du journal télévisé

• Quand je regarde un journal télévisé, entre ce que je visualise (colonne de gauche) et les faits présentés (colonne de droite), il y a en réalité tout une chaine de production sur laquelle je dois m’interroger, ici en termes d’authenticité et d’originalité, puisque nous sommes dans cette partie…

Si je lis le document de gauche à droite :

• ce que je reçois, c’est un écran où

-je vois un journaliste qui présente oralement un texte dit,

-avec des images (animées, fixes) et

-des sons, autres que le texte dit (musique, bruit du reportage, interviews).

• remontons la filière : derrière le journaliste (qui est ici un « récitant »), il y a un Comité de direction (auteur officiel et intellectuel) : de qui est-il composé, outre le journaliste-présentateur, qui n’est évidemment jamais qu’un simple récitant. C’est le Comité de direction qui a sélectionné l’information : de qui est-il composé ? Il faut tenir compte aussi de l’auteur matériel : au moment où l’on tourne en direct le JT, il y a un mixeur, qui choisit les séquences filmées et préparées par des monteurs, qui ont assemblés les images et les sons externes sur un support « continu » prêt à passer dans l’émission.

• Comment le Comité de rédaction a-t-il eu connaissance des faits ? Que ce soit pour le contenu (les textes), les images ou les sons, ils peuvent être directs ou indirects :

- directe : un journaliste est sur place au moment des fait (exemple : match de football, conférence de presse) ou il s’y rend après coup et procède à des interviews ;

- indirecte : les informations viennent par des Agences, pour les textes (Reuter, AFP, Belga) ou pour les images (Magnum), ce qui implique qu’il y a au moins un intermédiaire supplémentaire : comment les Agences ont-elles été informée (exemple : guerre d’Irak : armée américaine > CNN) ?

• Reste le problème des lieux et dates ! Les événements évoqués sont normalement des actualités du jour, concernant des lieux précis. Mais, il peut y avoir des séquences « historiques», qui reprennent des documents d’archives ou des « traficotages » : ont reprend des images d’archives en les présentant comme du jour (exemple célèbre : By By Belgium, une émission truquée d’actualité de la RTBF présentant la fin de la Belgique par proclamation unilatérale de la Flandre de son indépendance : c’est un « faux », monté avec des interviews d’archives d’hommes politiques…).

D. CRITIQUE DE RESTITUTION

1. Problématique : en histoire et en sciences humaines

Si, au cours de la critique d’authenticité/provenance, on s’est rendu compte que l’on avait affaire à une copie et que l’on ne possède plus l’original, il faut être sur ses gardes : qui dit copies, dit fautes ! Trois cas peuvent se présenter.

1) Le cas le plus simple : l’original est conservé et on s ’y réfère…

2) Plus d’original et une seule copie : on applique le principe que l’auteur n’était ni idiot, ni inculte, et donc, ce qui est « absurde » ou fautif trahit une faute de copie ; on corrige en tenant compte du lieu et de la date de rédaction de l’original. C’est ce qu’on appelle « l’emendatio ».

3) Plus d’original et plusieurs copie : on procède en deux temps : recensio et emendatio :

• recensio : il s’agit de repérer toutes les copie et d’en établir l’arbre généalogique : qui a copié qui ? C’est ce que l’on appelle le stemma codicum (l’arbre généalogique), que l’on dresse dans le but de choisir la meilleure copie, c’est-à-dire celle qui présente le moins de fautes, selon le principe énoncé, et qui paraît le plus proche de l’original.

• emendatio : la seconde opération consiste alors à corriger le texte retenu en s’aidant des variantes (philologie).

Ces techniques propres aux historiens des textes éditant des documents anciens sont éprouvées depuis longtemps (« ecdotique », « critique « textuelle », « érudition ») :

• mise au point par les humanistes à la Renaissance : retrouver les textes antiques originaux (dénaturés par la scolastique) : Bible, auteurs latins et grecs ne sont conservés que sous forme de copie !

• On peut citer ici Laurent Vala, qui a démontré le caractère faux de la « Donation de Constantin » sur base de la langue (philologie).

• Elles supposent une très grande érudition, historique et surtout philologique (méthode ancienne : le plus anciens, le moins de fautes, etc. ; méthodes moderne, fautes communes, accidents communs, etc.).

• En sciences humaines, la problématique sera tout à fait comparable :

-il arrive en effet très souvent que l’on ne travaille plus avec le document original mais avec des copies

-ou des «sous-produits» de celui-ci. Ainsi, lorsque l’on relève des chiffres dans l’Annuaire statistique de la Belgique, on est loin du dénombrement original effectué sur le terrain (cf. supra).

2. Les types de fautes

Qui dit copie, dit faute. Corriger la faute nous permettra de «restituer» l’original. Quels sont les types de fautes qui sont le plus souvent commises ?

• EN HISTOIRE

La faute accidentelle se produit à l’insu du copiste. Les causes en sont multiples : manque d’attention, fatigue, état du modèle, etc. Elles mènent à mal scinder les mots, à substituer des lettres, des syllabes ou des mots à d’autres, à sauter une ligne, etc.

Parmi les fautes de distraction, imputables au copiste ou au typographe, on peut citer :

-les mauvaises lectures : le mot « statuaire » devient « statutaire », « embrasser » devient « embraser », « téléologique » devient « théologique », etc. ;

-les omissions de certains mots, voire de certains passages entiers (le cas typique « du saut du même au même ») : dans le texte

« Le village était de structure classique : l’église était située au sommet de la colline et dominait la vallée ; l’église était également de plus belle facture que le reste des bâtisses »

devient :

« Le village était de structure classique : […] l’église était également de plus belle facture que le reste des bâtisses » ;

-la répétition des mêmes lettres ou groupes de lettres : in iniustum au lieu de iniustum ;

-faute de ponctuation : surtout dans des textes qui n’en comprenaient pas à l’origine ;

-interversion de cahiers : c’est un cas classique ; on a interverti dans le modèle deux cahiers à la reliure ; le copiste ne s’en rend pas compte, copie l’œuvre telle quelle, en arrangeant au besoin les raccords ;

-inversion de chiffres : « l’exposition universelle de Bruxelles en 1985 fut un grand succès » au lieu de « l’exposition universelle de Bruxelles en 1958 fut un grand succès » ;

-ce que l’on appelle les « coquilles typographiques », où des mots nouveaux sont créés par la modification, la suppression ou l’adjonction d’une lettre, sont fréquentes : « Le roi Albert est arrivé à Nice avec sa cuite (sa suite) habituelle » ; « L’évêque ôta sa culotte (sa calotte) » ; « Le roi [Baudouin], après avoir rempli son mensonge (rappelé son message) du 21 juillet » ; etc.

• La faute de jugement se fait consciemment, mais sans intention de fraude. Le copiste ne comprend pas le texte ou le juge trop obscur. Il le modifie donc pour le rendre intelligible. Ou il le croit mutilé et il le « répare » en y insérant des gloses inscrites dans les marges de son modèle.

Voici un exemple : dans un récit de martyr, il était écrit qu’un saint était mort à « Ahalia » (en Syrie) ; le copiste ne connaissait pas cette ville et il pense qu’il s’agit d’une erreur : il retranscrit alors « Italia » qui lui paraît le sens véritable du texte. C’est dans ce cas que l’on applique l’adage Lectio difficilior praeferenda videtur (en présence de deux manuscrits qui proposent chacun une leçon différente, il faut préférer la lecture la plus difficile).

• La faute volontaire a un but de fraude ; le copiste veut corriger l’auteur. Il peut supprimer, modifier ou ajouter (interpoler).

L’interpolation est un cas fréquent : il s’agit de passages intercalés dans un texte où ils ne se trouvaient pas à l’origine. Cela va de l’introduction de quelques mots aux remaniements successifs.

Un autre cas est celui des continuations. Au Moyen-Âge, les copistes continuent souvent, pour les périodes plus récentes, les Annales et Chroniques qu’ils recopient. On peut citer ici la Chronographia ou « chronique universelle » de Sigebert de Gembloux (1030-1112), dont le manuscrit autographe est conservé à la Bibliothèque royale. Commencée vers 1083, cette chronique a été rendue publique en 1105, remaniée en 1111 et continuée à quatre reprises, en 1120, 1136, 1137 et 1145.

Autre exemple de « continuation » : Les Délices des Pays-Bas ont connu tant de continuation et de mises à jour qu’ils en arrivèrent à tripler de volume. Ce phénomène tient à l’absence, avant le 18e siècle, de propriété littéraire.

Souvent, la faute volontaire poursuit un but frauduleux. Tels clercs recopient une chronique où il est écrit que leur abbaye est plus récente qu’une abbaye concurrente voisine ; il n’hésitent pas à transcrire, dans la copie destinée à la diffusion, l’inverse pour attirer vers eux les pèlerins, les voyageurs et les marchands. Il leur arrive aussi d’ajouter une ligne en recopiant un cartulaire (recueil de chartes) pour étayer un droit qu’ils prétendent avoir.

• EN STATISTIQUE

Les fautes cumulatives sont caractéristiques des données quantitatives : une observation erronée à la base et qui est multipliée ou élevée à une puissance. Si la production agricole est estimée par la multiplication de la superficie et du rendement, une erreur dans la donnée «superficie» va être multipliée.

• les fautes auto-corrélées peuvent affecter également les données quantitatives et plus particulièrement lorsque les données d’une série sont obtenues par calcul à partir d’une autre série.

• les fautes systématiques sont une menace pour les enquêtes sociologiques et les divers recensements :

- fautes au moment de la collecte des données : l’enquêteur peut être mal formé au départ et comprendre systématiquement mal une question ;

- fautes de codage et/ou d’encodage liées à l’incompétence

ou à la fatigue ;

- fautes de traitement : les données chiffrées ne sont pas toujours manipulées au moyen des procédures statistiques les plus adéquates ou les plus performantes ;

- fautes de programmation : les langages de programmation et les logiciels statistiques demandent une grande attention.

De là l’importance de pratiquer des tests pour vérifier la cohérence des résultats obtenus avant de se lancer définitivement dans le traitement de grands fichiers.

3. Prévention et détection des fautes

Prévention

Une manière de prévenir et de détecter les erreurs systématiques que l’on vient d’évoquer en dernier, est d’être attentif et rigoureux au moment de la saisie des données : procédures de contrôle (exemple, en comptabilité : système des « balances carrées » [tableau avec additions en colonnes et en lignes qui doivent correspondre : infaillible !].

En informatique, des programmes de validation peuvent y aider :

• par exemple vérification automatique du caractère numérique des données : dans le logiciel FileMaker, par exemple, on peut définir le caractère numérique d’une variable et si vous voulez introduire une lettre, il affiche un message d’erreur…

• vérification de la présence logique de telle variable ou valeur : champs obligatoires

• vérification de la cohérence interne des données : pour les interface de commande Internet, par exemple de billet d’avion : si votre date de retour est antérieur à date de départ, il vous le dit ; autre exemple : le n° de compte bancaire ou de « communication structurée » : les deux derniers chiffres sont des chiffres de contrôle par algorithme : la somme des chiffres doit toujours être égale à 7, par exemple, sachant que 10 = 0.

CHAPITRE 6

COLLECTE DES DONNÉES.

CRITIQUE INTERNE: AUTORITÉ DU TÉMOIN

On s’est occupé jusqu’à présent de l’examen des aspects formels et matériels du document et de l’information qu’il contient. C’est au contenu que l’on va désormais s’attacher, à sa valeur dans son rapport avec la vérité: la critique interne.

A. La problématique

Faire la critique d’autorité, c’est s’interroger sur la validité du contenu du message en vérifiant la compétence des témoins, leur exactitude et sincérité et de ce qu’ils rapportent. On est dès lors dans une démarche de critique interne.

[dias] Si l’on reprend le schéma dans lequel :

HISTOIRE CHERCHEUR SH RÉCEPTEUR D’INFO

Etape 1 :

L’historien interroge

Le chercheur qui envoie

un lecteur (téléspectateur) lit (regarde) le journal (journal télévisé)

Etape 2 :

un témoin indirect, qui dépend

 (intermédiaire)

des observateurs sur le terrain (interviewers)

 (intermédiaire)

écrit (préparé) par un journaliste

Etape 3 :

D’un témoin direct

 qui rencontrent des témoins

(interviewés, enquêtés)

 qui a interrogé des témoins

(interviewés)

Etape 4 :

du fait étudié

qui ont vécu un phénomène

ayant vécu le fait rapporté

[dias] la critique d’autorité (qui pose la question de savoir si les faits rapportés sont exacts ou déformés) concerne : (2) l’observateur, le journaliste et (3) le témoin :

• 1) l’observateur est-il compétent pour traiter la question posée ; 2) le témoin, au moment de l’observation, a-t-il bien perçu le fait ou le phénomène qu’il rapporte et a-t-il bien interprété puis mémorisé ce qu’il a perçu (Est-il intellectuellement capable de le faire?)

• Cela fait, au moment de l’énonciation (document, réponse), est-il exact et sincère : autrement dit, ne déforme-il pas la réalité, volontairement ou involontairement.

La critique s’applique à tous les intervenants de la chaîne informationnelle.

B. La critique de compétence ou la valeur de l’observation : perception et raisonnement

On partira ici du dernier schéma évoqué, le plus complexe, et partant celui qui pose le plus de problèmes critiques puisqu’on y multiplie les intermédiaires : celui des enquêtes sociologiques :

1) enquêté(e)

2) enquêteur

3) chercheur

1) Que peut-on dire de la compétence de l’observé (l’enquêté)?

Ici, une première question se pose quant au choix du témoin:

- en histoire, on prend ce que l’on trouve

- en sociologue, 1) est-ce qu’on choisit le témoin ou pas, est-ce qu’on le tire au sort ou pas. Cela dépend de l’objectif de la recherche : si on veut connaître l’opinion des témoins, on va employer la technique de l’échantillonnage (tirage au sort) ; par contre, si on veut approcher la vérité, on a avantage à choisir le meilleur témoin.

2) Comment garantir la compétence de l’observateur, cet intermédiaire entre le chercheur et le(s) témoin(s)?

Il existe un certain nombre de qualités de base valant aussi bien d’ailleurs pour l’enquêté que pour l’enquêteur. Elles peuvent se résumer en quelques questions:

- a-t-il la capacité physique (par exemple: être au bon endroit), psychologique (choc de l’événement), autrement dit encore, a-t-il les sens normaux pour observer?

- a-t-il une bonne compétence intellectuelle? Une observation se divisant en une série d'observations élémentaires, il s’agit pour lui de les ordonner et d’en faire la synthèse, donc avoir une certaine intelligence. De plus, il doit avoir un minimum de connaissances techniques pour comprendre le fait qui se déroule devant lui. L’expérience prouve que plusieurs témoins du même fait ne perçoivent en général qu’une partie du phénomène, celle qui, à ce moment précis, les intéresse, les préoccupe, les impressionne...

- est-il exempt de préjugés? L’existence de préjugés amène, au moment de l’observation, à ordonner les faits selon sa logique propre qui peut être différente de celle de son voisin.

- Nous avons tous des a priori, un cadre de référence

[Dans les écoles de journalisme, les professeurs conscients de ces faiblesses conseillent aux futurs journalistes: lire texte]

Si l’on envisage la compétence de l’observateur cette fois, il y a aussi un certain nombre de vérifications :

- le choix des observateurs ou enquêteurs: il faut s’assurer que ceux-ci possèdent la compétence technique appropriée, car une enquête menée sur le terrain ne s’improvise pas. Il faut tenir compte également de la situation d’enquête: pour mener une enquête dans une prison par exemple, on ne choisira pas n’importe qui comme enquêteur.

- la formation des observateurs: ils doivent recevoir une formation théorique, aussi bien qu’une formation pratique, c’est-à-dire avoir fait des exercices avant d’aller sur le terrain. Ils seront des «professionnels».

- le contrôle des observateurs:

• avant l’enquête, vérifier quel est leur cadre de référence

• pendant l’enquête, il faut s’assurer notamment que l’observateur n’est pas «victime» du phénomène qu’il observe.

• problématique de la technique utilisée : qualité du questionnaire et méthode d’interrogation : le questionnaire devant être rédigé avant d’aller sur le terrain ; il doit respecter certaines règles méthodologiques, à savoir que les questions doivent être neutres (ne pas induire de réponse), être claires et respecter un certain ordre (pour que l’en quêté puisse se familiariser avec le sujet), etc.. Un autre objet de notre attention, la méthode d’interrogation, car on peut avoir un très bon questionnaire mais mal mener son enquête sur le terrain.

C. Critique d’exactitude et de sincérité ou la valeur de l’énoncé ou de la notation

Le témoin ayant observé et compris ce qu’il a vu, peut-être est-il amené à l’énoncer, soit oralement, soit par écrit. À ce stade ci, il peut déformer la réalité, volontairement ou involontairement.

1. Exactitude et déformations involontaires

La critique d’exactitude se préoccupe des déformations involontaires. Reprenons l’exemple des enquêtes sociologiques et des entretiens. Dans ce cas, on s’inquiétera des conditions favorables à ce que l’énonce par l’interviewé se passe bien: on distingue généralement les facteurs liés à la situation de l’interviewé, ceux liés à l’interviewé même, ceux liés à l’enquêteur et enfin au langage. Pour les premiers, il y a le lieu: celui-ci doit présenter suffisamment de confort pour que l’entretien se déroule au mieux; il y a aussi le temps dont dispose la personne interviewée; et enfin, la présence d’autrui peut influencer les réponses de la personne.

Pour les facteurs liés à l’interviewé, retenons par exemple le facteur culturel: l’interviewé vit dans un milieu, dans une certaine classe sociale avec un certain stock verbal disponible et une certaine logique. L’enquêteur ne doit pas l’oublier. Tenir compte du facteur conjoncturel, s’interroger sur la pertinence et l’importance du thème pour l’interviewé, et de l’attitude de celui-ci. Souvent, dès qu’une personne est interrogée, elle est persuadée qu’elle joue un «rôle», ce qui l’incite à ne pas dire exactement ce qu’elle pense. Un autre facteur méritant une attention est le cadre de référence de la personne interviewée. Celui-ci doit être bien connu par l’enquêteur. Viennent enfin les facteurs motivationnels, le «self-esteem »: le désir de la personne interviewée de donner d’elle une image flatteuse peut l’amener à déformer la réalité. Les déformations peuvent être suscitées aussi par l’enquêteur. Ses caractéristiques physiques elles-mêmes sont susceptibles de perturber la qualité de l’énoncé de l’enquêté: sexe, âge, race, habille ment. De plus, l’enquêteur dispose aussi d’un cadre de référence qui peut l’amener sans qu’il ne s’en rende compte à suggérer des réponses.

Enfin, les facteurs liés au langage sont aussi importants puisque l’énoncé dépend du langage: l’observateur, par sa façon de parler, livre en quelque sorte sa personnalité à l’enquêté, ce qui peut l’amener à répondre dans tel ou tel sens. Il est donc conseillé à l’en quêteur d’utiliser le langage le plus neutre possible. La question elle-même, si elle n’est pas bien comprise par l’enquêté, peut rendre l’énoncé inexact.

Débordons le cadre strict des enquêtes sociologiques et voyons l’influence du temps écoulé entre la perception et l’énoncé. Cela permet d’aborder la question de la mémorisation annoncée dans le préambule. Les récits de vie, les entretiens sont concernés. Les sources littéraires illustrent bien cette question également : l’écrivain de mémoires, de roman autobiographique, de romans réa listes,... mais aussi tout témoignage relatant des faits passés. On suspectera les infidélités de mémoire qui peuvent introduire des éléments inexacts dans l’énoncé; on sera dès lors attentif au délai écoulé entre la perception et l’énoncé, comme on avait déjà été attentif à l’âge au moment de la perception (cf. critique d’originalité). Il peut d’ailleurs y avoir cumul des défauts lorsque l’énoncé d’un fait vécu alors enfant se fait à un âge avancé.

Un long délai favorise aussi l’intrusion de l’imagination: on a tendance avec le temps à raconter les choses différemment, surtout si on les a souvent racontées. D’autres déformations sont connues: la réduction (on réduit la perception du phénomène à quelques événements seulement et on oublie certains éléments), l’accentuation (on accentue l’importance de certains faits ou de certains éléments), la dramatisation (on ramène tous les faits à une seule personne, à un seul lieu), et enfin le raisonnement (on donne une logique à un événement, ce qui amène à «reconstruire» l’événement).

Une dernière source de déformation involontaire affecte les sources littéraires essentiellement. Elle provient d’un souci littéraire: lorsque l’on s’efforce de bien écrire, il se peut que l’on déforme la réalité. Le plaisir de placer un bon mot peut tronquer la réalité. Quelles sont les déformations qui peuvent survenir? Oratoire (multiplication des paroles nobles prononcées par les protagonistes), épique (accumulation de détails précis et pittoresques), lyrique (exagération des sentiments), et dramatique (concentration de tous les faits rap portés sur une même personne). Ces défauts n’affectent pas que les sources littéraires uniquement. Le souci de bien dire, de faire rire son auditoire peut amener un journaliste, un homme politique... à déformer la réalité.

Des déformations involontaires inhérentes aux difficultés classiques de «communication» entre deux individus peuvent surgir dans les schémas informationnels complexes impliquant des témoins indirects. Deux individus se comprennent parfaitement lorsqu’ils ont le même cadre de référence ou le même «répertoire» disent les spécialistes de la communication. Beaucoup d’implicite dans l’énoncé de l’émetteur ne gène pas le récepteur (perception) dans ce cas. La vérification des cadres de référence de chacun de ces deux partenaires relève donc de la critique d’exactitude.

2. Sincérité et déformations volontaires

Examinons à présent la critique de sincérité́. Celle-ci suspecte des déformations volontaires de la réalité (mensonge,...) et vérifie chez le témoin les raisons possibles de mentir. Pour illustrer cette unique question que comporte la critique de sincérité, nous envisagerons successivement les témoignages d’individus, ceux des sociétés privées, ainsi que ceux des gouvernements.

Si l’on considère les enquêtes (recensements...) auxquelles sont soumis les individus ou les sociétés privées, la crainte du fisc peut constituer une explication valable de certaines déformations de la réalité: en effet, toute enquête invite le citoyen à découvrir les intentions du promoteur (gouvernement, ministère,...). Une autre raison de mentir pourrait être le désir de s’opposer au gouvernement, ce qui rend suspects les résultats d’enquêtes menées par l’occupant, par exemple. Le désir de tromper les concurrents peut aussi inciter les sociétés privées à tronquer leurs rapports d’activité (état des stocks, prix catalogues,...). Enfin, le respect humaine engendre par fois certaines déformations: les statistiques médicales sont souvent biaisées pour cette raison. La peur de la contre-publicité peut amener des responsables à faire des déclarations peu exactes (statistiques de viols, de suicides, de délinquants,...).

L’usage de sources officielles ne dispense pas le chercheur de la question: quelles sont les raisons de mentir des gouvernements? Trop de raisons existent en effet. Le poids de l’idéologie en est une.

«Qu’est-ce qu’une idéologie? C’est une triple dispense: dispense intellectuelle, dispense pratique et dispense morale. La première consiste à retenir les seuls faits favorables à la thèse que l’on sou tient, voire à en inventer de toutes pièces, et à nier les autres, à les omettre, à les oublier, à empêcher qu’ils soient connus. La dis pense pratique supprime le critère de l’efficacité, ôte toute valeur de réfutation aux échecs. L’une des fonctions de l’idéologie est d’ailleurs de fabriquer les explications qui l’en absolvent. Parfois l’explication se réduit à une affirmation pure, à un acte de foi: «Ce n’est pas au socialisme que l’on doit imputer les difficultés rencontrées dans leur développement par les pays socialistes», écrit Mikhaïl Gorbatchev dans son livre publié en 1987, Perestroïka. Réduite à son arma ture logique, cette phrase équivaut à ceci: «Ce n’est pas à l’eau que l’on doit imputer les problèmes d’humidité qui se posent aux pays inondés.» La dispense morale abolit toute notion de bien et de mal pour les acteurs idéologiques; ou plutôt, chez eux c’est le service de l’idéologie qui tient lieu de morale. Ce qui est crime ou vice pour le commun ne l’est point pour eux. L’absolution idéologique du meurtre et du génocide a été amplement traitée par les historiens. On mentionne moins souvent qu’elle sanctifie aussi la concussion, le népotisme, la corruption. Les socialistes ont une si haute idée de leur propre moralité qu’on croirait presque, à les entendre, qu’ils rendent la corruption honnête en s’y livrant, loin qu’elle ternisse leur vertu quand ils y succombent.

Puisqu’elle exempte à la fois de la vérité, de l’honnêteté et de l’efficacité, on conçoit qu’offrant de si grandes commodités, l’idéologie, fût-ce sous d’autres noms, ait été en faveur auprès des hommes depuis l’origine des temps. Il est dur de vivre sans idéologie, puisque l’on se trouve alors devant une existence ne comportant que des cas particuliers, dont chacun exige une connaissance des faits unique en son genre et appropriée, avec des risques d’erreur et d’échec dans l’action, d’éventuelles conséquences graves pour soi-même, des dangers de souffrance et d’injustice pour d’autres êtres humains, et une probabilité de remords pour celui qui décide. Rien de tel pour l’idéologue, qui plane au-dessus du vrai et du bien, qui est lui même la source du vrai et du bien. Voici un ministre réputé pour sa vertu, son culte des droits de l’homme, son amour des libertés.

Il n’hésitera point à faire pression sur une administration, à la menacer, pour faire nommer sa femme, en toute irrégularité, pro fesseur dans une grande école et en faire chasser le titulaire. L’abus despotique du pouvoir au service du favoritisme familial le plus trivial, qu’il flétrirait avec écœurement s’il le voyait pratiquer hors de son camp, cesse de lui paraître honteux venant de lui. Ce n’est point simple complaisance à soi, mécanisme psychologique banal. Cet homme n’est point isolé, il est accompagné, soutenu par la substance sacrée de l’idéologie, qui capitonne sa conscience et le pousse à penser qu’étant lui-même à la source de toute vertu, il ne saurait sécréter que de bonnes actions. «Pour comprendre comment il se peut faire qu’un homme soit en même temps zélé pour sa religion et fort débauché, écrit Pierre Bayle, il n’y a qu’à considérer que, dans la plupart des hommes, l’amour de la religion n’est point différent des autres passions humaines... Ils aiment leur religion comme d’autres aiment leur noblesse ou leur patrie... Ainsi, croire que la religion dans laquelle on a été élevé est fort bonne et pratiquer tous les vices qu’elle défend sont des choses extrêmement compatibles. Dans ses commencements, une idéologie est un brasier de croyances qui, quoique dévastateur, peut enflammer noble ment les esprits. À son terme, elle se dégrade en syndicat d’intérêts.»

Une autre raison de mentir existe particulièrement lorsque le gouvernement est en situation de négociations. Les gouvernements peuvent aussi mentir pour ne pas dévoiler des stratégies militaires. Le bluff parfois se rencontre dans certaines déclarations officielles. La sécurité militaire est prétexte parfois pour taire certains chiffres concernant la défense nationale du pays. Enfin, selon que l’on veuille faire croire à l’échec ou au succès des plans, on a vu des régimes déformer leurs statistiques officielles. La conclusion est que «le mensonge simple est une pratique courante en politique». Ici il s’agit de tromper d’autres gouvernements, là il s’agit de tromper l’opinion publique.

Dès lors que la critique de sincérité suspecte les déformations volontaires, le mensonge n’est pas la seule préoccupation. Se taire en effet, le silence autrement dit, est aussi une façon de ne pas dire (toute) la vérité. Corollairement, accentuer une partie du fait, au détriment d’une autre partie défavorable à ses intérêts, ou en la taisant tout simplement, relève aussi de la critique de sincérité. Pour mettre en évidence ces défauts, il faut nécessairement recourir à la comparaison de témoignages de personnes ne défendant pas les mêmes intérêts (cf. infra, critique de confrontation).

3. La représentativité

Classiquement, la critique d’autorité s’arrête ici. À l’intention des disciplines qui recourent aux grandes enquêtes, considérons encore la notion de représentativité́, qui appartient sans aucun doute à la problématique de la critique d’autorité. En effet, mettre en cause la représentativité d’un témoin dans le langage courant ou mettre en cause la représentativité d’un échantillon dans le langage statistique, c’est s’interroger sur la validité de l’énoncé de ce témoin ou de cet échantillon.

Penchons-nous d’abord sur la représentativité dans le langage commun. Si l’on étudie un phénomène complexe comprenant de nombreux faits, il est probable que chaque témoin interrogé témoignera correctement mais seulement sur une partie du phénomène, celle qui l’a personnellement intéressé ou celle qui l’a frappé particulièrement (cf. supra, la qualité de l’observation). On a alors affaire à des vérités partielles qu’il faut agréger pour reconstituer «toute la vérité».

La représentativité dans le langage statistique concerne l’échantillon: le nombre de témoins est volontairement réduit. Si les conditions exigées par la théorie des sondages sont respectées, l’échantillon sera dit représentatif et énoncera aussi bien la réalité que la population totale ne l’aurait fait. L’antonyme du terme représentatif est le terme «biaisé». Si l’échantillon est biaisé, les résultats de l’enquête sont inutilisables. Vérifier cette qualité de l’échantillon est donc une précaution essentielle.

Nous avons vu dans les principes généraux de la collecte des données les règles à respecter pour obtenir un stock de données homogènes au terme de l’enquête. On s’y référera donc pour comprendre l’intérêt qu’il y a à respecter ce que nous avons appelé les unités de l’observateur, de la population, du temps, de la mesure et du vocabulaire. C’est bien une démarche relevant de la critique d’autorité. Pour un échantillon, être déclaré représentatif, c’est être apte à «témoigner» au nom de l’ensemble de la population.

...

Descargar como  txt (115.1 Kb)  
Leer 69 páginas más »
txt